mardi, novembre 29, 2005

4 Dispositif - Michel Foucault épisode 1 30-11-05



« Parce que regarder l’objet, c’est s’enfoncer en lui » Merleau-Ponty

- Le dispositif est donc comme une machine de production – c’est un agencement finalisé : la perspective fonctionne analogiquement à la vision ; c’est dire qu’elle fonctionne symétriquement : selon un modèle construit sur la vision mais pas comme la vision.

Le dispositif appréhende une modalité toujours spécifique, inhérente au mobile-motif qui le détermine.
Chaque dispositif fonctionne dans une relation à la nouveauté de l’actualité qu’elle met en œuvre.
Actualité n’est pas à comprendre en tant qu’ensemble d’événements récents – c’est plutôt l’effectivité de l’acte qui est en cause (de ce point de vue, l’événement se « situe » dans un certain rapport au dispositif).

Le dispositif est un agencement construit. Pour le moment d’après le dispositif de la perspective : le regard engage une détermination du voir ; un « voir » qui n’est plus simplement l’acte physiologique, c’est-à-dire un donné (tout le monde voit) mais un voir qui suggère une perspicacité du voir.

Michel Foucault s’est, un moment, penché sur la notion de regard et sur la perspicacité du regard d’un point de vue philosophique.

Qui est M.F. ?

1926-1984
Un penseur totalement engagé dans son présent : statut du savoir, du pouvoir, du processus de subjectivation.
À côté de son travail universitaire et philosophique, il participe, à sa mesure et sans médiatisation, à divers groupements : sur la maladie mentale, la prison, l’homosexualité etc.

Une série d’ouvrages dont :
-1961 Histoire de la folie à l’âge classique (reprise de sa thèse)
-1963 Naissance de la clinique
-1966 Les mots et les choses
-1969 Archéologie du savoir
-1975 Surveiller et Punir
-1976 Histoire de la sexualité 1 – la volonté de savoir
-1984 Histoire de la sexualité 2 – l’usage des plaisirs
Histoire de la sexualité 3 – le souci de soi

Le noyau de la pensée philosophique de M.F porte sur les conditions historiques de production du Savoir, du Pouvoir et de la Subjectivité.
C’est un coup d’œil qu’il est possible de déterminer dans l’après-coup. L’élaboration s’est faite au coup par coup, au fur et à mesure d’un déblaiement progressif des champs investis : le choix pour désigner son attitude philosophique du mot archéologie ne doit pas être pris à la légère.
Le concept philosophique est ce qu’on dégage et dont on retrace la dynamique – l’histoire, le procès plutôt- par un travail cartographique. Dans le champ des pratiques impliquées par M.F, il y a une importance très grande accordée au site et à la situation du concept.
Il y a un souci de la description et un souci de l’exactitude et de la précision. L’importance du travail de Foucault n’est pas encore mesurée.

-Naissance de la clinique PUF Paris 2003

Un texte d’épistémologie après la grande étude sur la folie et la déraison (Histoire de la folie en 1961).
Justifier la démarche méthodologie et rendre compte d’une dynamique.
L’horizon du texte écrit Foucault est de « comprendre le mécanisme de changement discursif dans la médecine ».
C’est une démarche qui s’articule par la suite à la ligne problématique de Foucault dans les Mots et les choses, puis Surveiller et Punir.

Apercevoir un changement de forme discursive et comprendre le changement de paradigme, c’et déjà ce que nous avons rencontré dans la problématique de la perspective.
Le dispositif de la perspective était un changement de point de vue représentatif qui conduisit à une transformation de la définition du voir et du regarder (au-delà même à une transformation des rapports de la vision à la science : l’optique du XVII-XIXe siècle).

N-C s’efforce de rendre compte de l’articulation nouvelle qui s’effectue entre percevoir et voir dans la discipline médicale.
Le premier travail est donc une relecture de tout le corpus discursif sur la médecine (travail facilité par la thèse de M.F.) mais sous un autre angle d’attaque.
Il s’agit d’une approche problématique relevant d’une épistémologie – l’épistémè en grec, c’est la science comme savoir discursif, c’est-à-dire déroulant dans une articulation d’énoncés une raison (argumentation) ; le travail de M.F. préférera au terme d’épistémologie celui d’archéologie et/ou d’épistémè. La reprise du terme grec n’est pas innocente, elle participe d’un dispositif de décentrement-recentrement des problèmes et des concepts.
C’est l’influence de Kant avec la notion de critique judiciaire : la thèse complémentaire de M.F. fut un travail de traduction commentée de l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique où Kant décentre certains de ses propres concepts dans une empirique de l’homme.
C’est également l’influence de Nietzsche : l’intempestif tout d’abord comme inactualisation d’une question, puis avec le processus conceptuel de la généalogie comme reprise « anhistorique » d’un devenir.

Plus largement, la question du dispositif méthodologique d’une approche philosophique travaille, perturbe la philosophie au XXe siècle : Deleuze, Derrida, Nancy … comme si la philosophie cherchait à se valider en dehors de l’épreuve d’un certain discours universitaire et cherchait encore sa légitimation discursive – en tout état de cause le XXe siècle fut celui des énoncés systématiques sur les discours philosophiques (la question est inhérente à la philosophie, mais elle s’est « formalisée à ce moment-là).

N-C cherche les présupposés de la réorganisation des savoirs médicaux et le mécanisme des changements discursifs.
« Il est question dans ce livre de l’espace, du langage et de la mort ; il est question du regard … Pour Descartes et Malebranche, voir c’était percevoir » p. IX.
Il fallait « rendre transparente la perception sans la dépouiller de son corps sensible ». Le programme de la pensée est de mettre à la lumière les éléments : la procédure d’élucidation est un processus de vérité. Faire coïncider les choses avec leur essence dans l’éclaircissement de ce qu’elles sont.
Lumière et vérité s’identifient et sont les données antérieures – sous une autre forme, un idéalisme qui fait du soleil la vérité
« Voir consiste à laisser à l’expérience sa plus grande opacité corporelle ; la clarté est dans l’œil. (Un beau principe de relecture de la philosophie cartésienne et de ses métaphores : clarté et évidence.
La lumière, c’est d’une certaine manière l’œil ; il faut donc une transformation de cette appréhension de la vérité-lumière-oeil pour que soit possible un type de discours inédit sur le corps et le sujet.
C’est dans la médecine que M.F décide d’étudier cette transformation, peut-être une recomposition qui permet de tenir un discours invraisemblable – au moins jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe : un discours sur l’individuel ; sachant qu’un discours sur l’individuel, c’est un discours qui touche à la singularité de l’objet qui lui permet de devenir sujet.
Jusqu’alors le vieux postulat aristotélicien : « il n’y a de science que de l’universel » (Aristote Métaphysique Livres A 1) ; le particulier-singulier ne donne pas lieu à la science mais à l’expérience.
Une science du particulier, du singulier.
Celle que d’ailleurs R. Barthes appelle de ses vœux dans la Chambre claire 4 « Dans ce débat somme toute conventionnel entre la subjectivité et la science, j’en venais à cette idée bizarre : pourquoi n’y aurait-il pas, en quelque sorte, une science nouvelle par objet ? Une Mathesis singularis (et non plus universalis) ? J’acceptai donc me prendre pour médiateur de toute la Photographie : je tenterais de formuler, à partir de quelques mouvements personnels, le trait fondamental, l’universel sans lequel il n’y aurait pas de Photographie ».

M.F ne nie pas qu’il y a eu d’autres champs où cette transformation-redistribution du savoir se produisit :
« Il appartenait à ce langage des choses et à lui seul sans doute d’autoriser à propos de l’individu un savoir qui ne fût pas simplement d’ordre historique ou esthétique. Que la définition de l’individu soit un labeur infini n’était plus un obstacle pour une expérience qui, en acceptant ses propres limites, prolongeait sa tâche dans l’illimité. La qualité singulière, l’impalpable couleur, la forme unique et transitoire, en acquérant le statut de l’objet, ont pris son poids et sa solidité … Le regard n’est plus réducteur, mais fondateur de l’individu dans sa qualité irréductible. Et par là il devient possible d’organiser autour de lui un langage rationnel. L’objet du discours peut aussi bien être un sujet, sans que les figures de l’objectivité soient pour autant altérées … On pourra enfin tenir sur l’individu un discours à structure scientifique . » p. X.

Tout cela se joue, semble-t-il, au XVIIIe siècle : le siècle de l’encyclopédie comme tentative de faire des savoirs particuliers sur l’objet individuel une recension et l’époque où s’essaie un discours d’esthétique (pas un discours esthétique). La figure de Diderot est importante de ce point de vue.

Il y a donc un redécoupage et une articulation nouvelle entre le dicible et le visible qui de la fin du XVIIIe au XIXe siècle va se jouer et se surjouer – la naissance de la clinique, c’est cela.

Le dispositif conceptuel de M.F consiste à faire resurgir les conditions historiques de possibilité d’un tel discours : analyse des écrits propres à une discipline pour que son propre discours fasse événement – l’événement se constitue en creux. Il n’est pas donné : ce n’est pas donc de l’histoire que fait M.F (puisque l’histoire consiste à croire que les événements sont déjà donnés dans le passé à faire être présent dans la narration descriptive).
L’événement se constitue comme événement dans la constitution d’une épaisseur du temps – un devenir pour reprendre un vocabulaire bergsonien ou deleuzien.

De quoi s’agit-il ?
Pour ce qui nous intéresse, les chapitres VI (des signes et des cas), VII (voir, savoir), VIII (ouvrez quelques cadavres), IX (l’invisible visible) :

-1- Rendre la science oculaire : produire un œil qui sait et qui décide, un œil qui régit – l’autopsie s’articule sur les principes de la dissection mais les valide ou les établit comme critère rendant possible un discours général à partir du cas – le corps a une histoire, il est une fiction à lire pour atteindre un réel.
-2- déterminer une ligne de partage entre théorie et expérience : symptômes et signes s’articulent l’un à l’égard de l’autre dans une distribution de sens et de morphologies.
Le symptôme est considéré comme la forme sous laquelle se présente la maladie (un certain état de fait du donné pathologique) ; le signe, quant à lui, annonce la maladie, il la désigne à l’attention et la signifie.
Le regard médical à la fin du XVIIIe se déplace de l’un à l’autre et se constitue dans le discours comme une nouvelle approche discursive de la maladie.
Cette discursivité fait du signe et du symptôme une combinaison ; le discours descriptif devient un discours explicatif. D’où l’idée du texte médical comme tableau clinique.
Le symptôme exprime : la maladie est phénomène d’elle-même. Elle se révèle tout entière dans sa manifestation ; la vérité « phénoménale » est tout entière dans sa manifestation – empirisme phénoménologique du symptôme. Il ne peut produire qu’un discours de détail et de description. Le symptôme est au plus près des caractéristiques de la maladie ; il colle au réel de la maladie, ce n’est donc plus une essence indicative de la maladie, il n’indique lui-même que dans sa relation à la maladie.
Le symptôme se constitue en caractère pathologique : il n’est pas une expression passive de la maladie (une qualité première et distinctive) mais active dans le déchiffrement (pas un signe encore mais une qualité seconde qui peut devenir signe).
Le symptôme suppose-t-on peut se constituer en signe.
Le signe dit explicitement ce qu’est le symptôme qui, lui manifeste ce que le signe permet de distinguer.
Ce qui implique :
-1- que tout symptôme est signe clinique
-2- que tout signe n’est pas symptôme
Du coup s’articule comme questionnement le point 3
-3- comment rendre visible dans une opération la totalité du champ de l’expérience de la maladie ?
-1- par la comparaison / le tableau clinique
-2- remémoration du normal ou du sain / la mémoire induit donc un temps-durée : la mesure comparative des températures par exemple
-3- par l’enregistrement de la succession ou de la simultanéité / un autre rapport à la temporalité dans ses variations – schéma, diagramme, courbe
-4- par l’autopsie / on passe de l’invisible au visible – l’état de la maladie comme totalité est dans le cadavre.

Pour reprendre la citation de M.F :
« Pour Descartes et Malebranche, voir c’était percevoir »
Pour le discours clinique en train de s’élaborer, il y a passage de la perception à la diction de la visibilité.
Un autre type de rationalité s’est construite au sein d’un dispositif particulier de la vision et du regard.

Cela pourrait se traduire par la formulation : Voir, Savoir.
M.F ne détermine pas la nature des relations – il le garde en suspens : rôle de la virgule au sens graphique est de marquer une suspension du temps, un écart, un espacement particulier qu’un blanc ne suffit pas à combler puisque le blanc du graphisme n’est là que pour induire la présence d’un fond commun – la page blanche. La virgule introduit une scansion, un écartement. On pourrait qualifier cela pour la relation entre voir, savoir par la déviance (en faisant un mauvais jeu de mot sur déviance : à la fois un écart type par rapport à une norme mais également un écart type visiblement perçu).

Le XIXe siècle développe une relation particulière au voir dans le cadre scientifique : voir, c’est observer, mais l’observation n’est pas passivité même si observer, c’est tenter de revenir à un regard sans élaboration :
« Le regard qui observe se garde d’intervenir – il est muet et sans geste. L’observation laisse en place : il n’y a rien pour elle de caché dans ce qui se donne… Le corrélatif de l’observation n’est jamais l’invisible, mais toujours l’immédiatement visible ». p.107
Il y a tout au long du siècle en question une vraie mise en place des méthodes d’observation sur le corps humain : naissance de la préhistoire comme discipline, développement de l’archéologie, commencement de l’histoire comparée (Quinet, Renan), théorisation de l’empirique et de l’expérimental (Claude Bernard), naissance de l’anthropologie (Bertillon).

Ce que l’observation permet est une pureté du regard qui fait du regard autre chose qu’un phénomène de vision : « paradoxale propriété d’entendre un langage au moment où il perçoit un spectacle ».
Le regard ne fait pas que lire une visibilité, il l‘écoute.
Il suffit de reprendre les gestes de la médecine : voir devient un geste : entre le microscope et le stéthoscope.

D’où du coup une articulation entre voir-observer-expérimenter ; plus exactement le regard d’observation est un regard d’expérimentation.
Cette articulation du regarder trouve son cadre dans un espace particulier : l’hôpital.

L’hôpital permet au fait pathologique d’apparaître dans sa singularité d’événement et sans la série qui l’entoure.
L’hôpital se veut un domaine neutre et homogène – il est l’équivalent de cet espace physique pensé de la physique mathématique.
Mais ce lieu n’est pas neutre, il est neutralisateur – il neutralise les affects discursifs et les éléments qui risqueraient de brouiller le regard.

Il ne faut pas oublier que le XIXe siècle fait de l’hôpital le lieu de la pédagogie clinique où il s’agit d’extérioriser le processus mis en place pour le rendre clinique. Dans le cadre particulier de l’hôpital (ou du cabinet médical) parler, c’est créer de la visibilité.

Le voir est donc toujours un percevoir mais un percevoir qui a des modalités propres dans le cadre de la clinique. Ce cadre est triangulaire : le tactile, l’auditif, le visible. Il est question d’une perception qui se construit comme anatomo-clinique.
La conception de l’autopsie fit varier cette relation dans le soin par une configuration des gestualités dont nous tous, encore aujourd’hui, l’expérience : main, oreille, œil sont les gestes des actes médicaux premiers auxquels nous devons faire face.
L’autopsie c’est la manière dont le clinicien articule notre corps dans une sphère de visibilité qui lui est propre par le biais d’un ensemble de procédures.
L’autopsie médicale suggère certes la mort du corps dans sa subjectivité, mais cette subjectivité se redéploie dans la singularité de l’épistémè médical.

La clinique met donc en place un dispositif de visualisation de l’invisible et de ce qui lui échappe normalement (l’audible, le tactile).
Ce dispositif consiste à faire varier des énoncés dans un champ épistémique donné – le savoir sur le corps comme manifestation phénoménale de la maladie.
C’est dans le pathologique que le spectaculaire se transforme en regardable – un regard qui détermine son objet en sujet (ce sur quoi l’on travaille).
Le passage d’une rationalité extérieure au corps à une rationalité qui déploie le corps.

Ce dispositif dans le travail de M.F. est à la fois celui de l’analytique des concepts mis en œuvre par la clinique, mais également la manière de faire dévier les énoncés de leur signification première. Un énoncé dit quelque chose et se dit comme énoncé.
De ce fait, l’énoncé est indicateur également d’une disposition du dispositif – la fin de N-C permet le passage à une réflexion sur la place du sujet dans le discours.

À titre d’exemple, le commencement de Les Mots et les Choses : l’analyse du tableau intitulé aujourd’hui Les Ménines, mais dont le titre classique est El caudro de la familia – le tableau de la famille ou le cadre de la famille.

Le tableau est peint en 1656 (en plein cœur du XVIIe siècle qui représente un problème pour le livre de M.F.) ; un format important : 318cm x 276cm.
Presque un carré comme pour répondre à l’exigence du premier titre : cuadro. Ce format n’est pas innocent, un carré, c’est la clôture de la représentation, le rectangle n’est marqué ; il implique un léger décalage dans la perception visuelle. C’est tout – un presque rien qui va se reproduire dans la lecture que M.F. fait de la toile.

Que donne à voir la toile ?
Il faut lire les quelques pages de la description de M.F., on y retrouve une écriture et un style mais également une procédure qui doit rappeler au lecteur la mise en place d’une forme de discursivité énonciative postulée dans N-C et qui sera reprise dans A-S en 1969.

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