dimanche, février 05, 2006

11 Le mimétique selon Aristote : représenter et raconter

Ce que construit Aristote, c’est une étude du dispositif narratif – une espèce particulière le récit comme narration d’une histoire, ce qui signifie que tout récit est récit d’ordre historique ou événementiel mais qu’il existe des narrations sans histoire.
Etude qui est devenu un discours normatif sur le poétique considéré comme mise en place d’un récit quelconque : le dispositif est la forme même de la constitution d’une formation narrative spécifique – le récit tragique (cf. au XVIIe, les préfaces de Racine, Corneille, Molière à leurs pièces).

Imiter – Représenter :
C’est donc au sein de la mimésis ou représentativité( compris comme théorie de la représentation) que le récit comme dispositif se constitue.
On en a vu quelques éléments, il y en a d’autres qui doivent trouver leur place.
L’intérêt contemporain de tout cela, c’est qu’en postulant que le récit est dispositif, Aristote postule aussi qu’il y a de manière inhérente et cohérente à la mise en place du récit l’installation d’une disposition particulière : théorie de la réception sous forme de katharsis.
Qu’est-ce donc que représenter, alors ?
La représentation renvoie à une activité naturelle : l’activité mimétique.
Pas une activité de pure reproduction mais un enjeu concernant la représentation.
Qu’est ce que la mimésis ? La mimésis renvoie à une pratique archaïque du récit : le récit corporel comme mimos ou mime ; c’est une attitude dramatique, à savoir que le corps génère un type d’action qui est en analogie avec une action réelle – la forme première de la mimésis est donc en fait bien une imitation mais elle ne se réduit pas à la mimétique comme mimétisme. Imiter, c’est produire une transposition dans un autre registre de l’attitude active du corps, c’est faire ressortir l’énergie du corps dans sa pure capacité à dire l’action.
Imiter est déjà une action, c’est donc un redoublement de l’agir dans l’action.
La mimésis est donc en tant que telle une modalité de l’agir ou du faire qui consiste à saisir les caractéristiques essentielles de l’agir ou du faire selon un autre plan. L’activité mimétique est donc toujours passage d’un registre d’expression à un autre : le registre d’expression propre est celui où l’agir-faire ne vaut plus par la finalité de l’agir-faire mais bien dans le registre des modalités où s’effectue le faire ou l’agir.
On comprend dès lors que le mime, la danse, la pantomime puissent en être l’expression la plus primitive.
La mimésis désigne donc une production du semblable par une dissemblance ou l’effectuation du même dans une altérité qualitative ou modale : à un moindre degré, si on observe l’imitateu, on perçoit ce travail de représentation par la caractéristique – les éléments qui font d’un individu un individu singulier (ou sur un autre plan : la caricature qui mime le réel en le déformant par passage à un plan distordu de la réalité).

La mimésis est donc toujours la formation d’un écart dans la représentation du réel ou de la réalité – pas une représentation directe (cf. Platon Livre III de la République - la fine distinction établit entre mimésis et diégésis : la mimésis est toujours dans un rapport contemporain qui implique une présence, la diégésis est toujours dans un contemporain de ce qui est rapporté sans pour autant que l’action soit dévolue à un temps que l’on rend présent : la diégésis suppose la narrativité de l’auteur ou du personnage auteur.).

C’est une manière d’aborder la représentation importante car du coup se pose le caractère temporel du récit (fait déjà rencontré) sur le plan de l’existence même du récit.
Si le récit raconte, il raconte l’agir dans sa représentation effectuée pas comme l’histoire qui rapporte toujours le déjà effectué et dans la distanciation de l’événement (mais déjà l’on entrevoit que ce rapport est fonction d’une considération portée sur la nature du récit – l’Histoire comme discipline elle-même peut appartenir à la mimétique représentative : s’estompe la vieille antinomie fiction réalité - ce que l'actualité par le biais de l'idéologie culturaliste introduit. (Cf. Paul Veyne Comment on écrit l'histoire ?).

De quelle nature est le récit comme déroulement d’une histoire comme mimésis ?
Dans le récit ce qui importe, c’est le caractère des événements (à la fois leur nature mais également ce qu’ils disent de celui qui supportent l’action) pas tant le personnage. Le français nourrit une ambiguïté entre caractère et personnage.
Donc le caractère comme ethos et l’action comme praxis.
« la tragédie est représentation non d’hommes mais d’actions ».
L’auteur à partir d’actions révélatrices du caractère construit selon une rationalité qui est de l’ordre du général et de la nécessité ou du probable une histoire.
Il n’imite au sens courant que pour représenter et dans le cadre du système d’agencement des faits.

Aristote postule une relation entre réel, réalité, fait, factuel et fictionnel et fiction : le récit bien fait est l’art du passage de l’un à l’autre selon les degrés nécessaires à la cohérence (vraisemblance, probabilité, nécessité) interne au système de faits qu’est l’histoire.

Le mimétique comme représentation prime sur l’ordre de l’expression : le vraisemblable et l’acceptable sont plus forts que l’écriture selon Aristote (discutable aujourd’hui où le récit est troublé).

L’activité de celui qui produit les récits est poétique en :
-1- la construction d’un histoire comme arrangement systématique de faits enchaînés selon le nécessaire et le vraisemblable.
-2- le travail de l’expression (lexis en grec : registre de vocabulaire et d’écriture en français – lexique) qui est la mise en forme particulière du récit dans la littérature : le mot.

Le travail mimétique est un travail de transposition d’un degré de réalité à un autre par le biais d’une figure – la métaphore qui est la perception du semblable dans le dissemblable (Cf. Paul Ricoeur : la métaphore vive paris Le Seuil 1975).
C’est une manière de faire de l’image un fondement caractéristique de l’homme : image ne devant pas se comprendre comme figuration linéaire ou colorée mais bien comme représentation mentale représentative d’un réel.
La représentation pour Aristote est naturelle à l’homme :
« Si l’on aime à voir des images, c’est qu’en les regardant on apprend à connaître et on conclut ce qu’est chaque chose comme lorsqu’on dit : celui-là, c’est lui » 4 -48b17.
L’artiste dégage une forme qui exprime la cause formelle en l’extrayant de la relation forme matière ; d’où une connaissance réelle de ce qu’est l’être de la chose à la fois dans son essence et dans sa relation à la matérialité (plaisir cognitif et esthétique) qui est un plaisir de la reconnaissance. L’extraction de la matière de ce qui fait la forme en tant que telle, de la forme propre sollicite la capacité à raisonner dans la forme première de la connaissance pour Aristote – l’étonnement.
En même temps ce plaisir du savoir est un plaisir de l’individualité dans sa singularité : c’est une chose (une œuvre) qui me fait entrer dans le plaisir des êtres et des choses mais c’est une chose individuelle qui établit un rapport spécifique (d’où une singularité) à la matière sensible. Le talent ce serait donc agencer l’individuel dans la production d’une singularité matière-forme. L’art à la différence de la technique manifeste cette singularité des choses et des êtres dans leur pure présence (pas un abandon d’une similarité de production mais la production atteint une finalité inhérente ou –et interne aux choses et être matérielles. Ne pas oublier que pur Aristote le vrai problème philosophique, esthétique et métaphysique est dans la matière puisqu’elle a pour trait caractéristique parmi d’autres de refuser par résistance à la forme).
Une esthétique du déictique – un singulier universel ?

Le récit est la manifestation de l’histoire d’un individuel qui devient singulier par un procès : le dispositif es bien présent dans la forme narrative sous cet aspect là.

Les modes de représentation de l’individuel et du singulier :

Postulat : chaque genre a sa puissance ou finalité propre dans le champ mimétique qui lui appartient. La poétique établit le mode de représentation de ce que nous désignons aujourd’hui par le terme de littérature mais qui correspond au tragique.
Soit donc deux manières dans le récit de représenter :
-1- objets représentés parlent en son propre nom ou par eux-mêmes
-2- les objets représentés parlent par le biais d’un narrateur
Aristote reprend Platon (République Livre 111 : récit simple ou récit diégétique ou récit mimétique complexe : comme si).
C’est dans la modalité -2- qu’Aristote pense le récit comme historie parce que celui supporte le récit est auteur et narrateur de la représentation d’une histoire.

Ces deux modalités sont une forme réduite de toute une théorie de la narration possible et qui interroge : qui produit le récit ? nous aurons à y revenir
- mais déjà voir Adorno Notes sur la littérature Champs Flammarion Paris 1984 : « la situation du narrateur dans le roman contemporain : selon lui on ne peut plus narrer sous la forme de la narration du roman. Alors comment fait l’écrivain puisque le roman par des pratiques contemporaines est privé du récit : il pense au reportage et à certains médias – le cinéma. Plus apte ( ?) à produire du récit comme agencement de fait. Le roman vit-il une libération du même ordre que la peinture avec l’apparition de la photographie : se libérer du carcan du récit pour n’être plus qu’une écriture ?
- ou Barthes dans le Degré zéro de l’écriture : roman et histoire. Il y a eu un tournant après 1850 (discutable) dont Michelet et Balzac sont les révélateurs dans le degré de réalité du fait « historique » du récit. Le roman comme l’histoire ont dû construire leur univers propre par rapport à d’autres formes narratives qui sont devenues prédominantes. Le récit comme forme co-extensive au Roman et à l’Histoire. La narration au passé simple comme vraisemblance historique du possible et non plus du virtuel et de l’actuel ; un ordre de rapport au passé qui change : la mémoire et le souvenir ; l’ordre du système de narration : qui raconte le je-il ou de l’impersonnel.

Le récit représente un agencement systématique de fait – une histoire donc.
Une histoire c’est donc un déroulement dans le temps d’actions font singularité – événements : ce qu’il importe de raconter et une composition : un ordre de raison entre les événements (même si cette raison est déroutante parfois).
En tant que tel, le personnage importe peu – il est support de l’événement action représentatif.
Aristote fait prédominer un caractère éthique et esthétique aux caractères du personnages. De toute façon, nous ne connaissons les hommes que par leur caractère, c’est-à-dire la forme particulière qu’ils donnent à leurs actions.
Ce sont toujours les actions de certains des hommes qui sont racontées et qui manifestent dans le récit les choix délibérés ou conduits (la capacité donc à raisonner et penser : la dianoia) et la nature du caractère (la qualité des actions). La katharis sera alors une forme de neutralisation des affects (pas une purgation) troublants la lecture, la vision de l’agencement des faits : le beau le laid importent peu alors…

En somme si l’histoire est plus importante que le personnage : est rendu possible l’unité de l’hétérogène du monde et la possibilité d’agir sur celui-ce (même dans le cadre du destin) et une affirmation de fait d’une certaine forme de liberté. D’où l’importance de l’imprévu pur faire tenir haleine de l’histoire mais surtout comme manifestation de la réaction d’un caractère donné à une situation non prévisible.
(Penser c’est avoir la capacité à dire ce qu’appelle la situation et ce qui convient de faire)

lundi, janvier 30, 2006

10 Dispositif - Excurus 2 : le récit

Le récit comme dispositif narratif :

Bibliographie sommaire :
Aristote Poétique et Rhétorique
Platon La république Livre 3 à 7 GF Paris
Genette Fiction et diction Points Seuil Paris 2004
Todorov La notion de littérature Points Seuil Paris 1987
Groupe mu : Rhétorique générale Points Seuil Paris 1982
La fiction textes choisis et présentés par Ch. Montalbetti GF Flammarion Paris 2001

Le récit se donne comme un dispositif particulier des systèmes de narration. La narration se définit par une suite de fait exposé. Elle peut prendre la forme du récit, de l’exposé, de la relation, et traverse les différents genres et pratiques de l’expression d’un événement.
La narration se donne comme une catégorie générale sur lequel le récit s’articule de manière spécifique.
Cette spécificité, Aristote en étudia le premier les modalités propres au sein d’un corpus de texte dont le plus important est la Poétique.

Aristote en tant que philosophie s’intéresse aux formes du récit comme poièsis : forme de production, fabrication, création particulière puisque la poièsis trouve sa fin en elle-même. Elle s’auto justifie et détermine comme pratique alors que les autres modes de fabrication, création, production doivent trouver leur fin dans une extériorité radicale : l’artisan fabrique le lit et la fin n’est pas la fabrication en elle-même du lit mais le lit comme objet.
Le récit poétique trouve donc sa fin dans son système de construction.
En cela pour Aristote il relève d’activité identique qu’il place sous le cadre de la mimésis ou imitation (cf. début de la poétique où l’acte du récit est rapporté aux activités mimétiques : la peinture par ex.).
La mimèsis est une théorie de la représentation particulière qui ne se réduit pas à la représentation comme copie.
Le récit ne peut pas être dit une imitation d’un agencement de fait réel – il est construction de cet agencement, voire il est production du fait lui-même.
C’est une ligne de partage oubliée de la conception aristotélicienne de la représentation.
Aristote ne cesse dans sa pratique de la philosophie de questionner les modes d’être ; il s’occupe d’une métaphysique qui est également une ontologie.
L’intérêt pour les art relève d’un questionnement sur les modes d’être particulier aux œuvres d’art.

La poétique définit le récit selon les modalités contemporaines à Aristote : le théâtre tragique et comique, l’épopée, le roman ne peut pas faire figure de genre, il n’existe tout simplement pas sauf à considérer (et parfois Aristote le fait en interrogeant l’histoire) le récit historique comme une modalité en devenir vers la réalité et la vérité.
Il y a là les premiers termes d’une indistinction entre fiction et réalisation (comme mode de production d’un récit fictif ou factuel – cf. Genette fiction et diction récit fictionnel, récit factuel p.141).

Simplement Aristote définit le récit comme système d’agencement de faits, d’actions. Les modalités du texte s’arrête plus particulièrement à la tragédie mais il ne faut pas en tenir compte uniquement.
Dire que le récit se compose comme agencement, c’est dire qu’il est un principe d’organisation des faits-actions :

- une organisation temporelle : il y a un temps propre au récit – le temps de la composition par l’auteur,le temps de la narration spécifique et le temps de ce qui est raconté, le temps du lecteur. Donc divers ordres de temporalités qui suppose des conceptions du temps sous forme de durée propre : le temps de la narration et du narré se recouvrent dans le récit, les deux autres constituent des modalités de production et d’appropriation du récit.
Il y a des opérateurs propres à la production de formes de temporalités : études de premières phrases de romans et contes
- « il était une fois » imparfait historique, certes pas, plutôt un imparfait qui désigne une action passé(en ce sens historique) mais une action passée dont le régime temporel n’est pas très clair par rapport à l’histoire. Le « il était une fois » est un paradoxe temporel : un temps passé qui n’est pas défini mais dont l’une fois dit la simplicité du rapport au temps. En français ce devrait être un passé simple « il fut une fois » mais la formulation est une redondance. Le passé simple marque l’instant de l’action alors que le « il était une fois » marque une forme d’éternité, une reprise perpétuel à chaque commencement du récit.
Il était une fois est un marqueur temporel du récit mais aussi un marqueur pour l’auteur et le lecteur.
- « ça a débuté comme ça » Louis Ferdinand Céline : Voyage au bout de la nuit. Le passé composé est ici la figure d’une temporalité en cercle. Un éternel recommencement. Le début est absolu et boucle le récit dans une temporalité de répétition à chaque reprise de la lecture. Le début est commencement absolu, il n’y a rien avant pas même l’éternité du « il était une fois ». Le temps n’est pas bloqué, immobile ; il est conçu simplement dans l’évidence du récit qui vient supporter le silence du narrateur : « moi, j’avais jamais rien dit ». La première phrase produit le régime de temporalité du récit dans le Voyage comme suite d’événement sans raccord – le temps est disjoint, disjoncté. Le récit est celui d’une expérience biographique sans unité ou qui doit trouver sans unité dans la progression et l’enchaînement d’événements particuliers.
- « Dis moi, ô Muse, l’homme aux milles tours qui tant erra » Le régime de temporalité est celui du mythe – un temps qui n’est plus humain parce qu’il est celui de la Muse et également un temps de l’inaccessible. Un temps d’injonction ou de prière :lire l’odyssée comme une prière dans le temps propre qu’instaure la prière dans sa religiosité, son intimité, sa valeur de partage…Toutefois ce qui est raconté est de l’ordre du factuel dans la passé simple (aoriste en grec temps passé déterminé d’une action mais sans chronologie précise). Le passé est renvoyé à l’indétermination. Des fait sans histoire ou plus exactement sans consistance de réalité.
- « le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi et d’apprendre au monde qu’après tant de siècle César et Alexandre avaient un successeur ; » La temporalité se donne ouvertement comme celle de l’historique, d’une forme spécifique de fait avéré. Il y a une réalité derrière le récit et cette réalité se réfère au temps passé et daté. Inscrire le récit dans une chronologie factuelle, c’est le propre de la chronique, de la presse ou du livre d’historien. Le passé simple avec la datation précise le registre de temporalité. Le point de départ du récit s’inscrit dans le même registre de temporalité que celui du lecteur – c’est le même que celui de l’histoire.

- il y un ordre logique de cette temporalité posée : le temps est celui de l’avant et de l’après qui rejoint celui de notre conception de l’explication des événements et des phénomènes physiques. Le temps c’est l’avant-après mais c’est également une détermination d’ordre dans la succession des événements. L’avant-après recouvre le schéma cause-effet(s). Il y a donc une linéarité propre au récit (au moins dans la structure élémentaire que propose Aristote).
Le récit initie un commencement spécifique et s’articule logiquement selon les données de ce commencement.
La suite s’articule comme développement d’une logique argumentative des données premières jusqu’à résolution .
Derrière cette logique du temps se profile ce qu’Aristote qualifie de vraisemblance. Le récit pour paraître cohérent doit également se prévaloir d’une certaine vérité. Cette vérité ne peut être celle qui ressortit d’une expérience de la réalité ou du vécu, elle se construit analogiquement à elle mais selon ses propres règles.
C’est l’expérience du vraisemblable dans la fiction : cela peut paraître vrai, voire dire le vrai – donc être vrai d’une certaine manière mais il n’y a aucune raison sinon d’ordre extérieur au récit pour démontrer la non validité ou fausseté ( c’est l’illusion de Don Quichotte qui croit les récits de chevalerie plus vrai que le réel alors qu’ils ne sont que vraisemblables – et c’est le travail de l’auteur de déterminer cette vraisemblance, le lecteur doit l’accepter, d’une certaine manière la subir).
-le texte de Balzac extrait de la Fille aux yeux d’or : le temps chez Balzac sert par le biais de la description à déterminer une temporalité objective. Une temporalité d’objets, c’est une temporalité factuelle mais pas au sens historique du terme uniquement, ce qui intéresse Balzac, c’est de dire une vérité archéologique sur son époque. Le temps d’objet est celui-là même de la vérité scientifique une vérité qui fait une pause dans le temps – pas, donc, l’éternité du mythe épique de l’odyssée mais un temps de l’universalité délimitée par la description. (cf. Avant propos de la Comédie Humaine). La valeur de description sociologique de la page construit une présupposition : le roman est un roman du temps présent (pas comme celui de Stendhal) mais du temps présent comme objet d’analyse et d’étude. Le présent de narration renforce la valeur d’objectivité du récit et le texte se constitue comme un champ de vision macroscopique-microscopique.
- le texte de Queneau : les fleurs bleues. La date est en toute lettre, elle désamorce le caractère historique, le factuel est dans la littéralité du texte pas dans le réel. Le passé simple n’est donc pas événementiel, il est narratif – il construit au rythme de la lecture la temporalité propre du récit. Le temps est l’objet propre du récit : le temps de l’histoire et Queneau joue avec le temps sous forme narrative.

mardi, décembre 06, 2005

9 La force du détail



Disparaître ainsi du champ de perception de la réalité pour constituer dans le réel un espace de singularité où le sujet vient à s'inscrire.
Le détail comme insignifiance de la subjectivité comme affect : ce n'est pas un autoportrait - le peintre signe simplement dans la co-présence de la signature et de l'image un effet de représentation comme indéniablement construite : le dispositif met ainsi à disposition une réception du moi comme autre que moi dans le jeu du miroir.
Y-a-t-il un stade du miroir de la représentation en dehors de tout sujet ?

8 Dispositif Michel Foucault épisode 2 -08-12-2005





La clinique met donc en place un dispositif de visualisation de l’invisible et de ce qui lui échappe normalement (l’audible, le tactile).
Ce dispositif consiste à faire varier des énoncés dans un champ épistémique donné – le savoir sur le corps comme manifestation phénoménale de la maladie.
C’est dans le pathologique que le spectaculaire se transforme en regardable – un regard qui détermine son objet en sujet (ce sur quoi l’on travaille).
Le passage d’une rationalité extérieure au corps à une rationalité qui déploie le corps.

Ce dispositif dans le travail de M.F. est à la fois celui de l’analytique des concepts mis en œuvre par la clinique, mais également la manière de faire dévier les énoncés de leur signification première. Un énoncé dit quelque chose et se dit comme énoncé.
De ce fait, l’énoncé est indicateur également d’une disposition du dispositif – la fin de N-C permet le passage à une réflexion sur la place du sujet dans le discours.

À titre d’exemple, le commencement de Les Mots et les Choses : l’analyse du tableau intitulé aujourd’hui Les Ménines, mais dont le titre classique est El cuadro de la familia – le tableau de la famille ou le cadre de la famille.

Le tableau est peint en 1656 (en plein cœur du XVIIe siècle qui représente un problème pour le livre de M.F.) ; un format important : 318cm x 276cm.

Presque un carré comme pour répondre à l’exigence du premier titre : cuadro. Ce format n’est pas innocent, un carré, c’est la clôture de la représentation, le rectangle n’est marqué ; il implique un léger décalage dans la perception visuelle. C’est tout – un presque rien qui va se reproduire dans la lecture que M.F. fait de la toile.

Que donne à voir la toile ?
Il faut lire les quelques pages de la description de M.F., on y retrouve une écriture et un style mais également une procédure qui doit rappeler au lecteur la mise en place d’une forme de discursivité énonciative postulée dans N-C et qui sera reprise dans A-S en 1969.

Fondamentalement, radicalement, il n’y a pas d’apparition du vrai sujet-motif de la représentation sans dispositif de la représentation.
Plus le sujet n’est jamais une individualité sinon, dans un leurre – ce leurre peut être l’illusion représentative.
La représentation au mieux permet de se saisir comme un, unité mais jamais comme singularité.
Il faut pour cela une épreuve constitutive – le cadre, c’est une véritable épreuve de subjectivité pour l’artiste.
L’importance événementielle ou accidentelle du format n’est pas relative.
Le format du cadre de la famille correspond à ce que nous attendrions aujourd’hui d’une photographie de famille.
Derrière l’analyse de M-F. il y a du Bourdieu.
L’image est un art moyen – il ne faut pas au risque de choquer qu’il y a une essentielle médiocrité de l’art : dire ce que tout un chacun sait, éprouve, vit déjà, mais c’est ce re-dire qui importe
Redire les choses déjà éprouvées par d’autres, sans cesse reprendre et déprendre un discours d’existence, c’est peut-être une finalité banale de l’art et l’on comprendrait pourquoi l’art drague la propagande et d’une certaine manière est le premier à se faire publicité au nom d’une modernité qui consiste à se dire qu’il vaut mieux coller à son temps que d’être ailleurs.
La grandeur mineure de l’art est là, sincèrement, je le pense : être de son temps alors que tout le reste s’évertue à en sortir.
Soit donc dans le travail de M-F.
Une toile de grand format qui joue d’un dedans et d’un dehors, d’une intériorité partageable et d’une extériorité partagée – ou bien à faire chiasme : d’une intériorité partagée et d’une extériorité partageable.
C’est dans ce chiasme que va se jouer et rejouer le dispositif de la représentation sans que jamais dans les M & C il ne soit question de la représentation artistique sinon dans ces dix premières pages.
Il y a d’abord une préface de 9 pages, suivie de 12 pages intitulées Les suivantes.
Les suivantes, c’est la traduction française de Las meninas mais ce n’est pas le titre primitif du tableau comme nous l’avant vu.
Il faut penser que M-F le savait et qu’intituler les pages préliminaires à son travail de philosophie les suivantes, c’est dire les suivantes comme à la traîne, il n’y a rien de péjoratif là-dedans : être à la traîne, c’est l’épuisement de la pensée, ici de la représentation dans une relation au monde – parce qu’à force de le révéler finalement on se fatigue – surtout lorsque les jambes que l’on possède sont des jambes de nains-naines.
Comment faire face au fourmillement de subjectivités contemporaines sinon en espérant recadrer les subjectivités dans leur absence : encore un couple comme les Arnolflini de la toile nordique mais un couple méridional – un couple qui foisonne et copule pour produire sa généalogie.
Il y a là un vrai paradoxe : on ne produit généralement pas sa généalogie, elle est déjà donnée. Mais l’expérience de Nietzsche dans la pensée montre que l’on peut produire un concept d’avenir (l’intempestif –inactuel ; il existe une hésitation pour Unzetgemässe Betrechtungen : considérations inactuelles, intempestives, on pourrait inventer le néologisme d’incontemporaines) qui génère son propre passé et le relie à une succession singulière d’événements.

Avant tout dégager l’horizon de l’ensemble du texte même si ce qui va nous intéresser est l’initiale du texte :
Quelle est la ligne conceptuelle de M-C. ?
- Premier fil de la ligne conceptuelle :
Elle est assez inédite puisqu’elle renvoie à la littérature comme fond ; il s’agit du rapport à Jorge Luis Borges qui va se redoubler dans la référence « en jeu de mots » à Roussel.
Rappel : 1899 à Buenos Aires – 1986 Genève. Il fait de la fiction une interrogation permanente de l’écriture et de la littérature. Un homme d’une culture encyclopédique (la figure du bibliothécaire qui a lu tous les livres de la bibliothèque qu’il gère) qui, en devenant aveugle, poursuit un travail d’élucidation – qui consiste à rendre visible l’écheveau de la littérature (le texte comme tissu organique de l’imagination et de l’imaginaire).
Pas de grands textes, des recueils de nouvelles, de poésie, une affabulation avec Bioy Casarès son ami.
L’auteur et autres textes : l’hacedor Gallimard Paris 1982
Le livre de sable Folio Gallimard Paris 1978
Fictions Folio Gallimard Paris 1983
Histoire de l’infamie – Histoire de l’éternité 10/18 1964

La référence humoristique « le rire qui secoue à sa lecture toutes les familiarités de la pensée » (un style nietzschéen) est un rire d’inquiétude que la fiction est seule susceptible de produire en regard de la perception du réel.
Le rire sur le réel se construit sur l’absurdité d’un point de vue réalisant le réel sous forme d’organisation taxinomique : croire percevoir le réel en l’organisant comme réalité opératoire.

Donc interroger les familiarités, le terme deviendra les similarités, les similitudes pour se concentrer sur les ressemblances dans l’apparition des savoirs.
Ce qui intrigue dans le texte de Borges, c’est comment faire place à part de la singularité – non pas que dans la marge se détermine la normalité mais l’écart dans entre la marge et le plan de composition de la feuille inscrite indique une nature de regard particulier. D’où l’importance de la textualité dans cette Préface mais d’une littérature de graphisme.
Faisons l’hypothèse suivante la Préface de M-C est également l’établissement de lignes graphiques qui se fondent sur le présupposé problématique :
« Qu’est-il donc impossible de penser, et de quelle impossibilité s’agit-il ? »
C’est une investigation assez étrange quand la modernité de la pensée philosophique se place sous la tutelle kantienne du « que puis-je savoir ? » (ce qui implique une modification des deux autres questions kantiennes : « que puis-dois-je faire ? » et « que puis-je espérer ? » Questions jamais établies dans la pensée de M.F. sinon par la bande).
Le savoir établit un ordre de composition de son espace : un ordre graphique (lire J. Goody : la déraison graphique ed. Minuit).
La fiction est une représentation graphique sur le plan de la taxinomie : organisation de l’imaginaire dans une production de réalités – le rapport de la fiction avec le concept peut se décliner de manière plus directe et plus brusque : philosophie et roman d’investigation psychologique et philosophique, le rapport aux temps devenus temporalités voire durées (la science-fiction), la capacité à représenter des concepts (Platon et l’allégorie, Tinguely …).

- Deuxième fil conducteur :
L’hétérogène est naturel à la constitution de la fiction, mais les savoirs ne lui font pas de places :
« Ce texte de Borges m’a fait rire longtemps, non sans un malaise certain et difficile à vaincre. Peut-être parce que dans son sillage naissait le soupçon qu’il y a pire désordre que celui de l’incongru et du rapprochement de ce qui ne convient pas ; ce serait le désordre qui fait scintiller les fragments d’un grand nombre d’ordres possibles dans la dimension, sans loi ni géométrie, de l’hétéroclite ; et il faut entendre ce mot au plus près de son étymologie : les choses y sont « couchées », « posées », « disposées » dans des sites à ce point différents qu’il est impossible de trouver pour eux un espace d’accueil, de définir au-dessous des uns et des autres un lieu commun. » p.9
Comment faire tenir les dispositifs de représentation sinon par la marge ? le cadrage de la représentation elle-même dans une série de dispositifs historiquement agencées pour tenter de n’en former qu’un ?
Le mot qui résume ce dispositif des dispositifs, c’est ordre
« L’ordre, c’est à la fois ce qui se donne dans les choses comme leur loi intérieure, le réseau secret selon lequel elles se regardent en quelque sorte les unes les autres et ce qui n’existe qu’à travers la grille d’un regard, d’une attention, d’un langage ; et c’est seulement dans les cases blanches de ce quadrillage qu’il se manifeste en profondeur comme déjà là, attendant en silence le moment d’être énoncé. « p.11
C’est ce que nous allons voir dans un instant plus en détail avec Les suivantes.

- troisième fil conducteur :
La condition de possibilité des connaissances et des théories – un retour à un kantisme ? non un questionnement sur celui qui fonde le connaître comme savoir – le sujet anthropologique des sciences de l’homme dans une perspective particulière : l’élaboration du concept de ressemblance dans les organisations d’épistémè :
« l’homme n’est qu’une invention récente, une figure qui n’a pas deux siècle, un simple pli dans notre savoir, et qu’il disparaîtra dès que celui-ci aura trouvé une forme nouvelle »
Ce passage qui a soulevé des critiques : anti-humanisme, voire fascisme … il faut toujours lire les livres dans l’intégralité de la démarche, pas seulement en coup d’œil – ce qui ne veut pas dire qu’il faut lire ligne à ligne mais de concepts problématiques en concepts problématiques.

dimanche, décembre 04, 2005

7 schéma perspectif des ménines


l'à-côté de la représentation : le point de fuite des lignes va vers le sol ou les marches où se tient le maréchal.
A quoi renvoie ce renvoi vers l'absence de sujet ?
La ligne traçable délimite le tableau représenté de dos (le cadre, le châssis) vers 1/3 : comme pour le tableau lui-même - une assise du sujet dans la représentation mais aussi la partie médiane de la toile en train de se peindre est visible dans le miroir et l'inférieur ce qui fonde l'assise corporelle de la majesté est irreprésentable.
Le dernier tiers est celui de l'exposition des toiles invisibles sur le mur du fond

6 les ménines : les vingt premières pages de M-C



La toile date de 1656
Velasquez travaille au portrait de la famille royale : de gauche à droite : dona Augustina de Sarmiento, l'infante Marguerite, dona Isabel de Velasco, la naine Mari-Barbola et le nain Nicolasito Pertusato.
Au second plan : dona Marccela de Ulloa et don Diego Ruiz de Azscona
Dans l'embrasure de la porte : le maréchal de palais don José Nieto Velasquez
Dans le miroir : le couple royal Marianne d'Autriche et Philippe IV

mardi, novembre 29, 2005

4 Dispositif - Michel Foucault épisode 1 30-11-05



« Parce que regarder l’objet, c’est s’enfoncer en lui » Merleau-Ponty

- Le dispositif est donc comme une machine de production – c’est un agencement finalisé : la perspective fonctionne analogiquement à la vision ; c’est dire qu’elle fonctionne symétriquement : selon un modèle construit sur la vision mais pas comme la vision.

Le dispositif appréhende une modalité toujours spécifique, inhérente au mobile-motif qui le détermine.
Chaque dispositif fonctionne dans une relation à la nouveauté de l’actualité qu’elle met en œuvre.
Actualité n’est pas à comprendre en tant qu’ensemble d’événements récents – c’est plutôt l’effectivité de l’acte qui est en cause (de ce point de vue, l’événement se « situe » dans un certain rapport au dispositif).

Le dispositif est un agencement construit. Pour le moment d’après le dispositif de la perspective : le regard engage une détermination du voir ; un « voir » qui n’est plus simplement l’acte physiologique, c’est-à-dire un donné (tout le monde voit) mais un voir qui suggère une perspicacité du voir.

Michel Foucault s’est, un moment, penché sur la notion de regard et sur la perspicacité du regard d’un point de vue philosophique.

Qui est M.F. ?

1926-1984
Un penseur totalement engagé dans son présent : statut du savoir, du pouvoir, du processus de subjectivation.
À côté de son travail universitaire et philosophique, il participe, à sa mesure et sans médiatisation, à divers groupements : sur la maladie mentale, la prison, l’homosexualité etc.

Une série d’ouvrages dont :
-1961 Histoire de la folie à l’âge classique (reprise de sa thèse)
-1963 Naissance de la clinique
-1966 Les mots et les choses
-1969 Archéologie du savoir
-1975 Surveiller et Punir
-1976 Histoire de la sexualité 1 – la volonté de savoir
-1984 Histoire de la sexualité 2 – l’usage des plaisirs
Histoire de la sexualité 3 – le souci de soi

Le noyau de la pensée philosophique de M.F porte sur les conditions historiques de production du Savoir, du Pouvoir et de la Subjectivité.
C’est un coup d’œil qu’il est possible de déterminer dans l’après-coup. L’élaboration s’est faite au coup par coup, au fur et à mesure d’un déblaiement progressif des champs investis : le choix pour désigner son attitude philosophique du mot archéologie ne doit pas être pris à la légère.
Le concept philosophique est ce qu’on dégage et dont on retrace la dynamique – l’histoire, le procès plutôt- par un travail cartographique. Dans le champ des pratiques impliquées par M.F, il y a une importance très grande accordée au site et à la situation du concept.
Il y a un souci de la description et un souci de l’exactitude et de la précision. L’importance du travail de Foucault n’est pas encore mesurée.

-Naissance de la clinique PUF Paris 2003

Un texte d’épistémologie après la grande étude sur la folie et la déraison (Histoire de la folie en 1961).
Justifier la démarche méthodologie et rendre compte d’une dynamique.
L’horizon du texte écrit Foucault est de « comprendre le mécanisme de changement discursif dans la médecine ».
C’est une démarche qui s’articule par la suite à la ligne problématique de Foucault dans les Mots et les choses, puis Surveiller et Punir.

Apercevoir un changement de forme discursive et comprendre le changement de paradigme, c’et déjà ce que nous avons rencontré dans la problématique de la perspective.
Le dispositif de la perspective était un changement de point de vue représentatif qui conduisit à une transformation de la définition du voir et du regarder (au-delà même à une transformation des rapports de la vision à la science : l’optique du XVII-XIXe siècle).

N-C s’efforce de rendre compte de l’articulation nouvelle qui s’effectue entre percevoir et voir dans la discipline médicale.
Le premier travail est donc une relecture de tout le corpus discursif sur la médecine (travail facilité par la thèse de M.F.) mais sous un autre angle d’attaque.
Il s’agit d’une approche problématique relevant d’une épistémologie – l’épistémè en grec, c’est la science comme savoir discursif, c’est-à-dire déroulant dans une articulation d’énoncés une raison (argumentation) ; le travail de M.F. préférera au terme d’épistémologie celui d’archéologie et/ou d’épistémè. La reprise du terme grec n’est pas innocente, elle participe d’un dispositif de décentrement-recentrement des problèmes et des concepts.
C’est l’influence de Kant avec la notion de critique judiciaire : la thèse complémentaire de M.F. fut un travail de traduction commentée de l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique où Kant décentre certains de ses propres concepts dans une empirique de l’homme.
C’est également l’influence de Nietzsche : l’intempestif tout d’abord comme inactualisation d’une question, puis avec le processus conceptuel de la généalogie comme reprise « anhistorique » d’un devenir.

Plus largement, la question du dispositif méthodologique d’une approche philosophique travaille, perturbe la philosophie au XXe siècle : Deleuze, Derrida, Nancy … comme si la philosophie cherchait à se valider en dehors de l’épreuve d’un certain discours universitaire et cherchait encore sa légitimation discursive – en tout état de cause le XXe siècle fut celui des énoncés systématiques sur les discours philosophiques (la question est inhérente à la philosophie, mais elle s’est « formalisée à ce moment-là).

N-C cherche les présupposés de la réorganisation des savoirs médicaux et le mécanisme des changements discursifs.
« Il est question dans ce livre de l’espace, du langage et de la mort ; il est question du regard … Pour Descartes et Malebranche, voir c’était percevoir » p. IX.
Il fallait « rendre transparente la perception sans la dépouiller de son corps sensible ». Le programme de la pensée est de mettre à la lumière les éléments : la procédure d’élucidation est un processus de vérité. Faire coïncider les choses avec leur essence dans l’éclaircissement de ce qu’elles sont.
Lumière et vérité s’identifient et sont les données antérieures – sous une autre forme, un idéalisme qui fait du soleil la vérité
« Voir consiste à laisser à l’expérience sa plus grande opacité corporelle ; la clarté est dans l’œil. (Un beau principe de relecture de la philosophie cartésienne et de ses métaphores : clarté et évidence.
La lumière, c’est d’une certaine manière l’œil ; il faut donc une transformation de cette appréhension de la vérité-lumière-oeil pour que soit possible un type de discours inédit sur le corps et le sujet.
C’est dans la médecine que M.F décide d’étudier cette transformation, peut-être une recomposition qui permet de tenir un discours invraisemblable – au moins jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe : un discours sur l’individuel ; sachant qu’un discours sur l’individuel, c’est un discours qui touche à la singularité de l’objet qui lui permet de devenir sujet.
Jusqu’alors le vieux postulat aristotélicien : « il n’y a de science que de l’universel » (Aristote Métaphysique Livres A 1) ; le particulier-singulier ne donne pas lieu à la science mais à l’expérience.
Une science du particulier, du singulier.
Celle que d’ailleurs R. Barthes appelle de ses vœux dans la Chambre claire 4 « Dans ce débat somme toute conventionnel entre la subjectivité et la science, j’en venais à cette idée bizarre : pourquoi n’y aurait-il pas, en quelque sorte, une science nouvelle par objet ? Une Mathesis singularis (et non plus universalis) ? J’acceptai donc me prendre pour médiateur de toute la Photographie : je tenterais de formuler, à partir de quelques mouvements personnels, le trait fondamental, l’universel sans lequel il n’y aurait pas de Photographie ».

M.F ne nie pas qu’il y a eu d’autres champs où cette transformation-redistribution du savoir se produisit :
« Il appartenait à ce langage des choses et à lui seul sans doute d’autoriser à propos de l’individu un savoir qui ne fût pas simplement d’ordre historique ou esthétique. Que la définition de l’individu soit un labeur infini n’était plus un obstacle pour une expérience qui, en acceptant ses propres limites, prolongeait sa tâche dans l’illimité. La qualité singulière, l’impalpable couleur, la forme unique et transitoire, en acquérant le statut de l’objet, ont pris son poids et sa solidité … Le regard n’est plus réducteur, mais fondateur de l’individu dans sa qualité irréductible. Et par là il devient possible d’organiser autour de lui un langage rationnel. L’objet du discours peut aussi bien être un sujet, sans que les figures de l’objectivité soient pour autant altérées … On pourra enfin tenir sur l’individu un discours à structure scientifique . » p. X.

Tout cela se joue, semble-t-il, au XVIIIe siècle : le siècle de l’encyclopédie comme tentative de faire des savoirs particuliers sur l’objet individuel une recension et l’époque où s’essaie un discours d’esthétique (pas un discours esthétique). La figure de Diderot est importante de ce point de vue.

Il y a donc un redécoupage et une articulation nouvelle entre le dicible et le visible qui de la fin du XVIIIe au XIXe siècle va se jouer et se surjouer – la naissance de la clinique, c’est cela.

Le dispositif conceptuel de M.F consiste à faire resurgir les conditions historiques de possibilité d’un tel discours : analyse des écrits propres à une discipline pour que son propre discours fasse événement – l’événement se constitue en creux. Il n’est pas donné : ce n’est pas donc de l’histoire que fait M.F (puisque l’histoire consiste à croire que les événements sont déjà donnés dans le passé à faire être présent dans la narration descriptive).
L’événement se constitue comme événement dans la constitution d’une épaisseur du temps – un devenir pour reprendre un vocabulaire bergsonien ou deleuzien.

De quoi s’agit-il ?
Pour ce qui nous intéresse, les chapitres VI (des signes et des cas), VII (voir, savoir), VIII (ouvrez quelques cadavres), IX (l’invisible visible) :

-1- Rendre la science oculaire : produire un œil qui sait et qui décide, un œil qui régit – l’autopsie s’articule sur les principes de la dissection mais les valide ou les établit comme critère rendant possible un discours général à partir du cas – le corps a une histoire, il est une fiction à lire pour atteindre un réel.
-2- déterminer une ligne de partage entre théorie et expérience : symptômes et signes s’articulent l’un à l’égard de l’autre dans une distribution de sens et de morphologies.
Le symptôme est considéré comme la forme sous laquelle se présente la maladie (un certain état de fait du donné pathologique) ; le signe, quant à lui, annonce la maladie, il la désigne à l’attention et la signifie.
Le regard médical à la fin du XVIIIe se déplace de l’un à l’autre et se constitue dans le discours comme une nouvelle approche discursive de la maladie.
Cette discursivité fait du signe et du symptôme une combinaison ; le discours descriptif devient un discours explicatif. D’où l’idée du texte médical comme tableau clinique.
Le symptôme exprime : la maladie est phénomène d’elle-même. Elle se révèle tout entière dans sa manifestation ; la vérité « phénoménale » est tout entière dans sa manifestation – empirisme phénoménologique du symptôme. Il ne peut produire qu’un discours de détail et de description. Le symptôme est au plus près des caractéristiques de la maladie ; il colle au réel de la maladie, ce n’est donc plus une essence indicative de la maladie, il n’indique lui-même que dans sa relation à la maladie.
Le symptôme se constitue en caractère pathologique : il n’est pas une expression passive de la maladie (une qualité première et distinctive) mais active dans le déchiffrement (pas un signe encore mais une qualité seconde qui peut devenir signe).
Le symptôme suppose-t-on peut se constituer en signe.
Le signe dit explicitement ce qu’est le symptôme qui, lui manifeste ce que le signe permet de distinguer.
Ce qui implique :
-1- que tout symptôme est signe clinique
-2- que tout signe n’est pas symptôme
Du coup s’articule comme questionnement le point 3
-3- comment rendre visible dans une opération la totalité du champ de l’expérience de la maladie ?
-1- par la comparaison / le tableau clinique
-2- remémoration du normal ou du sain / la mémoire induit donc un temps-durée : la mesure comparative des températures par exemple
-3- par l’enregistrement de la succession ou de la simultanéité / un autre rapport à la temporalité dans ses variations – schéma, diagramme, courbe
-4- par l’autopsie / on passe de l’invisible au visible – l’état de la maladie comme totalité est dans le cadavre.

Pour reprendre la citation de M.F :
« Pour Descartes et Malebranche, voir c’était percevoir »
Pour le discours clinique en train de s’élaborer, il y a passage de la perception à la diction de la visibilité.
Un autre type de rationalité s’est construite au sein d’un dispositif particulier de la vision et du regard.

Cela pourrait se traduire par la formulation : Voir, Savoir.
M.F ne détermine pas la nature des relations – il le garde en suspens : rôle de la virgule au sens graphique est de marquer une suspension du temps, un écart, un espacement particulier qu’un blanc ne suffit pas à combler puisque le blanc du graphisme n’est là que pour induire la présence d’un fond commun – la page blanche. La virgule introduit une scansion, un écartement. On pourrait qualifier cela pour la relation entre voir, savoir par la déviance (en faisant un mauvais jeu de mot sur déviance : à la fois un écart type par rapport à une norme mais également un écart type visiblement perçu).

Le XIXe siècle développe une relation particulière au voir dans le cadre scientifique : voir, c’est observer, mais l’observation n’est pas passivité même si observer, c’est tenter de revenir à un regard sans élaboration :
« Le regard qui observe se garde d’intervenir – il est muet et sans geste. L’observation laisse en place : il n’y a rien pour elle de caché dans ce qui se donne… Le corrélatif de l’observation n’est jamais l’invisible, mais toujours l’immédiatement visible ». p.107
Il y a tout au long du siècle en question une vraie mise en place des méthodes d’observation sur le corps humain : naissance de la préhistoire comme discipline, développement de l’archéologie, commencement de l’histoire comparée (Quinet, Renan), théorisation de l’empirique et de l’expérimental (Claude Bernard), naissance de l’anthropologie (Bertillon).

Ce que l’observation permet est une pureté du regard qui fait du regard autre chose qu’un phénomène de vision : « paradoxale propriété d’entendre un langage au moment où il perçoit un spectacle ».
Le regard ne fait pas que lire une visibilité, il l‘écoute.
Il suffit de reprendre les gestes de la médecine : voir devient un geste : entre le microscope et le stéthoscope.

D’où du coup une articulation entre voir-observer-expérimenter ; plus exactement le regard d’observation est un regard d’expérimentation.
Cette articulation du regarder trouve son cadre dans un espace particulier : l’hôpital.

L’hôpital permet au fait pathologique d’apparaître dans sa singularité d’événement et sans la série qui l’entoure.
L’hôpital se veut un domaine neutre et homogène – il est l’équivalent de cet espace physique pensé de la physique mathématique.
Mais ce lieu n’est pas neutre, il est neutralisateur – il neutralise les affects discursifs et les éléments qui risqueraient de brouiller le regard.

Il ne faut pas oublier que le XIXe siècle fait de l’hôpital le lieu de la pédagogie clinique où il s’agit d’extérioriser le processus mis en place pour le rendre clinique. Dans le cadre particulier de l’hôpital (ou du cabinet médical) parler, c’est créer de la visibilité.

Le voir est donc toujours un percevoir mais un percevoir qui a des modalités propres dans le cadre de la clinique. Ce cadre est triangulaire : le tactile, l’auditif, le visible. Il est question d’une perception qui se construit comme anatomo-clinique.
La conception de l’autopsie fit varier cette relation dans le soin par une configuration des gestualités dont nous tous, encore aujourd’hui, l’expérience : main, oreille, œil sont les gestes des actes médicaux premiers auxquels nous devons faire face.
L’autopsie c’est la manière dont le clinicien articule notre corps dans une sphère de visibilité qui lui est propre par le biais d’un ensemble de procédures.
L’autopsie médicale suggère certes la mort du corps dans sa subjectivité, mais cette subjectivité se redéploie dans la singularité de l’épistémè médical.

La clinique met donc en place un dispositif de visualisation de l’invisible et de ce qui lui échappe normalement (l’audible, le tactile).
Ce dispositif consiste à faire varier des énoncés dans un champ épistémique donné – le savoir sur le corps comme manifestation phénoménale de la maladie.
C’est dans le pathologique que le spectaculaire se transforme en regardable – un regard qui détermine son objet en sujet (ce sur quoi l’on travaille).
Le passage d’une rationalité extérieure au corps à une rationalité qui déploie le corps.

Ce dispositif dans le travail de M.F. est à la fois celui de l’analytique des concepts mis en œuvre par la clinique, mais également la manière de faire dévier les énoncés de leur signification première. Un énoncé dit quelque chose et se dit comme énoncé.
De ce fait, l’énoncé est indicateur également d’une disposition du dispositif – la fin de N-C permet le passage à une réflexion sur la place du sujet dans le discours.

À titre d’exemple, le commencement de Les Mots et les Choses : l’analyse du tableau intitulé aujourd’hui Les Ménines, mais dont le titre classique est El caudro de la familia – le tableau de la famille ou le cadre de la famille.

Le tableau est peint en 1656 (en plein cœur du XVIIe siècle qui représente un problème pour le livre de M.F.) ; un format important : 318cm x 276cm.
Presque un carré comme pour répondre à l’exigence du premier titre : cuadro. Ce format n’est pas innocent, un carré, c’est la clôture de la représentation, le rectangle n’est marqué ; il implique un léger décalage dans la perception visuelle. C’est tout – un presque rien qui va se reproduire dans la lecture que M.F. fait de la toile.

Que donne à voir la toile ?
Il faut lire les quelques pages de la description de M.F., on y retrouve une écriture et un style mais également une procédure qui doit rappeler au lecteur la mise en place d’une forme de discursivité énonciative postulée dans N-C et qui sera reprise dans A-S en 1969.

dimanche, novembre 27, 2005

4 Excursus -1-2- apport de la perspective comme dispositif

- Acquis :

Un dispositif est un schème de pensée et de production.
C’est un schème en tant qu’il organise structurellement la perception sensible (il a donc un rapport à l’esthétique) et cette organisation structurelle est la source d’une dynamique de la perception.
La manière d’appréhender le réel devient manière de penser une incidence du réel.
Une distinction est donc à penser entre le réel et la réalité : si le réel est l’état de fait du monde (des choses), la réalité est la manière dont nous construisons un rapport avec cet état.
La perspective s’institue comme une manière de faire qui est également une manière de penser une relation au monde.

En partant des exemples :
- De la visibilité : la vision ne se donne plus d’un bloc ou de blocs (Giotto) mais s’articule à un centre et crée ainsi la possibilité du point de vue (même s’il peut y avoir décentrement Masaccio)
- Être visible, c’est être lisible : il y a un déchiffrement de la représentation à effectuer. À un premier stade, déchiffrement de la perception chez le producteur, à un second stade déchiffrement de la représentation pour reconstruire la perception (c’est le positionnement inverse de la représentation antérieure, où être lisible, c’est donner lieu à une possibilité de visibilité)
- Du coup, la visibilité-lisibilité est partageable : il n’y a pas ou presque pas de point de vue privilégié. L’expérience de Brunelleschi suppose que je peux me mettre à la place de (enjeu important au moment de la Renaissance : décentrement politique et religieux).
- Il y a un en commun de la représentation qui se nomme perspective légitime : un espace géométrique structuré qui ordonne le monde.
- La perspective permet d’agencer une perception qui est une représentation (c’est contradictoire dans les termes puisque la perception se donne dans l’immédiat du sensible comme sensation et la représentation comme construction de la sensation en sentiment et en sensible. Distinctions importantes à poser) en avance du discours qui le formalisera – la perspective existe avant le texte et les énoncés scientifiques qui la détermineront (historiquement il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour que l’expression mathématique de la perspective soit presque achevée – et cela si on ne tient pas compte de l’irréductible que représente l’optique qui ne sera véritablement pensé qu’au cours du XIXe siècle, moment où la perspective est contestée avec la réflexion sur la couleur et la lumière).

- Problème :
Tout d’abord ne pas croire que la perspective s’impose par évidence. Une chance historique au sens de hasard de rencontre de causes.
Déjà parlé du contexte historique rapidement.
Comment s’impose ce dispositif ?
La perspective légitime appuie sa légitimité (outre les faits historiques) sur une conception de l’image.
L’image ne se donne plus comme émanation du réel, elle se propose comme un schème (je reprends le mot déjà employé à dessein) – une grille de correspondance entre un système visuel et les éléments du réel.
La perspective consolide du coup une conception de l’image comme mimésis.
Il y a un rapport particulier à construire à chaque coup entre le réel et sa représentation et ce rapport est l’établissement d’une réalité.
La mimésis se définira du coup comme le degré acceptable de correspondance entre le réel et son image : la réalité.
Le travail de l’artiste (qui est un des enjeux de notre questionnement sur le dispositif) se définira du coup comme une modélisation du réel (ce sera le premier niveau de sens du mot réalité : la réalité n’est que le modèle explicatif d’un état du réel) :
À la fin du moyen âge, Dante écrit (De monarchia II,2) : « voici donc ce qu’il faut savoir : de même que l’art se rencontre à trois niveaux, c’est-à-dire dans l’esprit de l’artiste, dans l’outil et dans la matière informée par l’art, de même nous pouvons contempler la nature à trois degrés différents » (à savoir en Dieu comme son créateur, dans le ciel comme en son instrument ainsi que dans la matière).
L’art est analogique, il fonctionne dans un certain rapport comme la création avec Dieu. L’image est toujours un prétexte à retrouver le texte lisible du monde – d’où l’acceptation d’une représentation en écart avec le réel puisque le réel ne se donne que par un travail d’hermétique (interprétation) d’un sens symbolique ou allégorique – rhétorique des formes visuelles.

La Renaissance part d’un postulat qui se dégage lentement dans l’analyse du réel : le modèle se donne déjà à voir. Pas une évidence du visible ou du visuel.
Ce postulat est celui de la ressemblance comme vraisemblance : ce qui d’une certaine manière arrive à être même, arrive également à être dans un rapport à la vérité, voire un rapport de vérité.
Donc du coup, il faut se placer devant les choses et arriver à rendre cette situation de placement :
« Si tu veux faire une bonne ébauche de montagnes, qui ressemblent à la nature, prends de grosses pierres rugueuses et brutes, et, en leur ménageant ombre et lumière, tu en auras aussitôt le spectacle » (Cennini Traité de peinture)

« Le travail du peintre est d’inscrire et de peindre sur une surface au moyen de lignes et de couleurs tous les corps donnés de telle manière qu’à une distance déterminée, et pour une position déterminée du rayon central, tout ce que tu vois peint présente le même relief et le même aspect que les corps donnés …Celui qui étudie la peinture tirera donc toutes ces observations de la nature même, et il méditera en lui-même assidûment la façon dont ces choses se produisent, ses yeux et son esprit persévéreront continuellement dans cette recherche… Enfin que tu étudies la penture ou la sculpture, aie toujours présent à l’esprit quelque modèle élégant et singulier que tu regarderas et imiteras. » Alberti De pictura

L’écart est manifeste : la renaissance introduit un refus de la transmission (peinture retransmise et répétitive) par la reprise perpétuelle du modèle (ressemblance avec la nature non plus divine et immuable – paradigme aristotélicien, mais changeante et variée – paradigme néoplatonicien).
Car il s’agit bien de déterminer l’essence des choses par leur aspect au sens étymologique : ce qui présente au regard.
L’aspect, c’est la vision qui se détermine par les lignes extérieures des choses, qui fait spectacle et se montre digne d’être vu et donc représenté.

La mimésis, c’est donc la production d’une ressemblance par rapport à un modèle (la nature) – un dispositif technique donc qui peut aller de la production d’une reproduction (copie, on s’y laisse prendre) à la production d’une similarité.
Un enjeu : rivaliser avec la nature, d’où le caractère d’imagerie que peut prendre la production d’image. L’artiste est aussi un ingénieur mathématicien et physicien.
La technique se définissant aussi plus largement par faire ce que la nature ne peut produire.
Alberti s’empresse de rajouter que l’artiste doit cependant porter une attention particulière à la beauté : en fait ce qui singularise la chose produite et lui donne un intérêt pour le regard de l’artiste et du spectateur dans une composition ordonnée et historique.

Le dispositif de la perspective légitime piège à la fois le regard et le réel.
Il serait même possible de dire que la perspective ne piège que le réel sous le coup d’un regard : la réalité.

La perspective, ce fut sous entendu jusqu’à présent, est un dispositif de distinction par délimitation : un procédé graphique qui consiste à faire que dans la surface s’élaborent des configurations selon une unité des variables qui se distinguent localement et pas par nature.
Le caractère géométrique n’est certes pas une mathématisation consciente puisque les outils mathématiques ne sont pas encore présents.
La perspective légitime travaille la linéarité des choses : c’est le trait – donc le dessin- ou plus exactement la délinéation (à l’origine liée à la matière colorée comme limite entre deux zones colorées) devient la bordure de la surface, la limite entre le plein et le vide – représentation matérielle séparée.
Le dessin configure une forme sensible du concept qui s’abstrait au point de disparaître à la sensibilité : lignes de forces non perceptibles sinon par déduction.
Le dispositif est dans la construction d’une représentation par armature invisible du visible.

Bilan :

Tout cela ne détaille pas la perspective dans sa richesse et sa complexité.
Il s’agissait de considérer le dispositif dans son apparition pour déterminer quelques caractéristiques.

Même dans un système aussi « naturaliste » que celui de la perspective légitime, il y a la construction d’un artifice.
L’image est une imagerie – c’est-à-dire qu’elle est une élaboration particulière. Il n’y a pas d’images qui s’imposent sans un dispositif qui ne soit également une procédure.
On peut se contenter de regarder une image comme on regarde un bon point mais même un bon point est une image qui s’intègre dans une procédure particulière.

3 Excursus 1 : contexte et nature

Contexte particulier :
- Transformation de l’espace de la cité italienne
- Transformation de l’espace de représentation du monde
- Transformation de l’espace théologique
- Transformation du rapport au temps
- Transformation du statut de l’activité artistique : arrachement vers les arts libéraux

Toutes ces transformations s’échelonnent dans une période assez large et parfois au-delà de l’Italie.

En tout état de cause, un dispositif particulier de production d’image se construit dans le même temps qu’une conscience réceptive adaptée à ces productions s’instaure.

Aucun suspense, c’est la perspective.
Filippo Brunelleschi (1377-1446) coupole du dôme de Florence 1420-36.
Leone Battista Alberti (1404-72) 1424-25 De pictura

Qu’est-ce que la perspective ?
Cela se définit par une vision unique, monoculaire (une monstruosité : œil cyclope). Toutes les lignes convergent vers le point qui est la projection de l’œil sur la surface de la représentation. Cela produit un schéma de configuration et de composition.

La perspective est une vraie invention, une vraie disposition des choses du monde.
C’est un choix qui se fait d’un système de représentation parmi d’autres possibles.

Elle implique donc :
- Un spectateur immobile : il y a là un dispositif de regard contre lequel la modernité luttera
- Ce spectateur est fixé à une certaine distance de ce qu’il regarde. Distance qui sera considérée comme le point de vue privilégié sur l’œuvre
- Une vision monoculaire donc réductrice et en écart avec la réalité de la vision naturelle humaine.

Il faut bien se souvenir qu’à la même époque :
- Système de composition par plan : Giotto
- École dite de Sienne : primo perspective avec aberration
- Lorenzo Ghiberti (1378 ou 81-1455 porte du baptistère de Florence 1401 en sculpture) met au point un système de perspective bifocale centralisée avec deux points de fuite : les deux yeux.
- Paolo Uccello (1397-1475) expérimente une perspective bifocale latéralisée : il y a un point de fuite à l’extrême gauche, car le regard se porte à l’extrême gauche et un point de fuite à l’extrême droite ; entre les deux, il y a l’organisation des lignes de fuite dont les foyers sont aux extrêmes.
- Jean Fouquet (1420-1481) met au point la perspective convexe ou tournante.
- Les peintres Flamands utilisent une perspective non géométrique et non mathématisée.


Entre 1415-1417 : Brunelleschi construit un modèle empirique : panneau du baptistère de Florence comme modèle théorique.
- La mise en scène est un dispositif expérimental pour validité une proposition que l’on pense être au départ d’architecture : éviter l’usage des maquettes et faire de l’architecture un système de représentation conceptuelle (cosa mentale)
- La mise en scène est une limite de la représentation : impossible ciel
- La mise en scène est un cadrage optique et thématique

Le dispositif est également un dispositif spatial et temporel qui inaugure la règle de la représentation historique en art : unité d’action, de lieu et de temps.
Ce qui est rendu visible, c’est la légitimité de l’image comme processus dans la nécessité où le sujet est de trouver la bonne place (pas sa place mais une place qui lui est assignée).

Valeur du dispositif mis en place dans les années 1420-1450 :

- Rôle de la cartographie : la peinture produit du territoire et Florence est un centre de cartographie
- Institution politique : on sait que Côme de Médicis dit l’ancien encourage la production de petits panneaux quadrangulaires à son retour d’exil en 1434 pour s’opposer à l’esthétique gothisante de son prédécesseur – face à la fresque apparaît donc le tableau transportable et transposable (pas totalement exact, la Trinité de Masaccio reconduit l’expérience de Brunelleschi dans un cadre d’architecture)
- Un dispositif double de production et de pensée (sens du mot représentation)
- Un dispositif qui fonctionne sur un schéma analogique : la commensuratio
- Un cadrage du réel :la limite de l’image.

2 Bibliographie

- Daniel Arasse : l’annonciation italienne Hazan
- Daniel Arasse : histoire de peinture France Culture Denoël
- Hubert Damisch l’origine de la perspective Champs Flammarion
- Jean Louis Deotte L’époque de l’appareil perspectif L’harmattan
- Erwin Panofksy la perspective comme forme symbolique Minuit
- Pierre Francastel Peinture et société Gallimard

1 Dispositif mis en oeuvre : la perspective

L’art apparaît non pas comme un état de fait, une disposition à être mais comme une disposition d’un devoir être. En ce sens il y a une distinction à construire entre les différents niveaux que nous avons engagés.
« Devoir être de l’art, ce serait la mise en place d’un dispositif de la disposition pour faire figure ou formalisation sensible « rendre visible le visible » disait Klee.

Il y a donc un processus de construction propre, spécifique : un constructivisme de l’art. Il construit une constitution qui s’établit dans une disposition du travail. (Cf. le réalisme dans l’art)

L’art comme activité apparaît comme un pouvoir constituant, une puissance constitutive de sa représentation et de sa perception.

Si l’on schématise ce que nous avons distingué jusqu’à présent :

- 1er plan de composition dans le bricolage :

Il y a combinaison de l’état de fait dans une altération de celui-ci : le bricolage pallie une insuffisante concrète et empirique du monde.

- 2e plan de composition :

Il y a combinaison de la matière et de formes sériées en fonction d’une finalité technique et concrète déterminée : le devis de l’artisan

- 3e plan de composition :

Il y a combinaison de la matière-forme vers une finalité d’invention spécifique et rationnelle : plan de l’expérience. L’ingénieur.

Dans tous les cas envisagés, un travail d’abstraction et de concrétisation qui est une transformation-altération en autre chose que le point de départ.

En est-il de même dans le processus artistique conçu comme disposition ?

Excursus et rappel : le cas d’un dispositif particulier et persistant comme naturel (illusion)

Comment se fait-il que l’on change de paradigme visuel au cours du XIV-XVe siècle ?