mardi, décembre 06, 2005

9 La force du détail



Disparaître ainsi du champ de perception de la réalité pour constituer dans le réel un espace de singularité où le sujet vient à s'inscrire.
Le détail comme insignifiance de la subjectivité comme affect : ce n'est pas un autoportrait - le peintre signe simplement dans la co-présence de la signature et de l'image un effet de représentation comme indéniablement construite : le dispositif met ainsi à disposition une réception du moi comme autre que moi dans le jeu du miroir.
Y-a-t-il un stade du miroir de la représentation en dehors de tout sujet ?

8 Dispositif Michel Foucault épisode 2 -08-12-2005





La clinique met donc en place un dispositif de visualisation de l’invisible et de ce qui lui échappe normalement (l’audible, le tactile).
Ce dispositif consiste à faire varier des énoncés dans un champ épistémique donné – le savoir sur le corps comme manifestation phénoménale de la maladie.
C’est dans le pathologique que le spectaculaire se transforme en regardable – un regard qui détermine son objet en sujet (ce sur quoi l’on travaille).
Le passage d’une rationalité extérieure au corps à une rationalité qui déploie le corps.

Ce dispositif dans le travail de M.F. est à la fois celui de l’analytique des concepts mis en œuvre par la clinique, mais également la manière de faire dévier les énoncés de leur signification première. Un énoncé dit quelque chose et se dit comme énoncé.
De ce fait, l’énoncé est indicateur également d’une disposition du dispositif – la fin de N-C permet le passage à une réflexion sur la place du sujet dans le discours.

À titre d’exemple, le commencement de Les Mots et les Choses : l’analyse du tableau intitulé aujourd’hui Les Ménines, mais dont le titre classique est El cuadro de la familia – le tableau de la famille ou le cadre de la famille.

Le tableau est peint en 1656 (en plein cœur du XVIIe siècle qui représente un problème pour le livre de M.F.) ; un format important : 318cm x 276cm.

Presque un carré comme pour répondre à l’exigence du premier titre : cuadro. Ce format n’est pas innocent, un carré, c’est la clôture de la représentation, le rectangle n’est marqué ; il implique un léger décalage dans la perception visuelle. C’est tout – un presque rien qui va se reproduire dans la lecture que M.F. fait de la toile.

Que donne à voir la toile ?
Il faut lire les quelques pages de la description de M.F., on y retrouve une écriture et un style mais également une procédure qui doit rappeler au lecteur la mise en place d’une forme de discursivité énonciative postulée dans N-C et qui sera reprise dans A-S en 1969.

Fondamentalement, radicalement, il n’y a pas d’apparition du vrai sujet-motif de la représentation sans dispositif de la représentation.
Plus le sujet n’est jamais une individualité sinon, dans un leurre – ce leurre peut être l’illusion représentative.
La représentation au mieux permet de se saisir comme un, unité mais jamais comme singularité.
Il faut pour cela une épreuve constitutive – le cadre, c’est une véritable épreuve de subjectivité pour l’artiste.
L’importance événementielle ou accidentelle du format n’est pas relative.
Le format du cadre de la famille correspond à ce que nous attendrions aujourd’hui d’une photographie de famille.
Derrière l’analyse de M-F. il y a du Bourdieu.
L’image est un art moyen – il ne faut pas au risque de choquer qu’il y a une essentielle médiocrité de l’art : dire ce que tout un chacun sait, éprouve, vit déjà, mais c’est ce re-dire qui importe
Redire les choses déjà éprouvées par d’autres, sans cesse reprendre et déprendre un discours d’existence, c’est peut-être une finalité banale de l’art et l’on comprendrait pourquoi l’art drague la propagande et d’une certaine manière est le premier à se faire publicité au nom d’une modernité qui consiste à se dire qu’il vaut mieux coller à son temps que d’être ailleurs.
La grandeur mineure de l’art est là, sincèrement, je le pense : être de son temps alors que tout le reste s’évertue à en sortir.
Soit donc dans le travail de M-F.
Une toile de grand format qui joue d’un dedans et d’un dehors, d’une intériorité partageable et d’une extériorité partagée – ou bien à faire chiasme : d’une intériorité partagée et d’une extériorité partageable.
C’est dans ce chiasme que va se jouer et rejouer le dispositif de la représentation sans que jamais dans les M & C il ne soit question de la représentation artistique sinon dans ces dix premières pages.
Il y a d’abord une préface de 9 pages, suivie de 12 pages intitulées Les suivantes.
Les suivantes, c’est la traduction française de Las meninas mais ce n’est pas le titre primitif du tableau comme nous l’avant vu.
Il faut penser que M-F le savait et qu’intituler les pages préliminaires à son travail de philosophie les suivantes, c’est dire les suivantes comme à la traîne, il n’y a rien de péjoratif là-dedans : être à la traîne, c’est l’épuisement de la pensée, ici de la représentation dans une relation au monde – parce qu’à force de le révéler finalement on se fatigue – surtout lorsque les jambes que l’on possède sont des jambes de nains-naines.
Comment faire face au fourmillement de subjectivités contemporaines sinon en espérant recadrer les subjectivités dans leur absence : encore un couple comme les Arnolflini de la toile nordique mais un couple méridional – un couple qui foisonne et copule pour produire sa généalogie.
Il y a là un vrai paradoxe : on ne produit généralement pas sa généalogie, elle est déjà donnée. Mais l’expérience de Nietzsche dans la pensée montre que l’on peut produire un concept d’avenir (l’intempestif –inactuel ; il existe une hésitation pour Unzetgemässe Betrechtungen : considérations inactuelles, intempestives, on pourrait inventer le néologisme d’incontemporaines) qui génère son propre passé et le relie à une succession singulière d’événements.

Avant tout dégager l’horizon de l’ensemble du texte même si ce qui va nous intéresser est l’initiale du texte :
Quelle est la ligne conceptuelle de M-C. ?
- Premier fil de la ligne conceptuelle :
Elle est assez inédite puisqu’elle renvoie à la littérature comme fond ; il s’agit du rapport à Jorge Luis Borges qui va se redoubler dans la référence « en jeu de mots » à Roussel.
Rappel : 1899 à Buenos Aires – 1986 Genève. Il fait de la fiction une interrogation permanente de l’écriture et de la littérature. Un homme d’une culture encyclopédique (la figure du bibliothécaire qui a lu tous les livres de la bibliothèque qu’il gère) qui, en devenant aveugle, poursuit un travail d’élucidation – qui consiste à rendre visible l’écheveau de la littérature (le texte comme tissu organique de l’imagination et de l’imaginaire).
Pas de grands textes, des recueils de nouvelles, de poésie, une affabulation avec Bioy Casarès son ami.
L’auteur et autres textes : l’hacedor Gallimard Paris 1982
Le livre de sable Folio Gallimard Paris 1978
Fictions Folio Gallimard Paris 1983
Histoire de l’infamie – Histoire de l’éternité 10/18 1964

La référence humoristique « le rire qui secoue à sa lecture toutes les familiarités de la pensée » (un style nietzschéen) est un rire d’inquiétude que la fiction est seule susceptible de produire en regard de la perception du réel.
Le rire sur le réel se construit sur l’absurdité d’un point de vue réalisant le réel sous forme d’organisation taxinomique : croire percevoir le réel en l’organisant comme réalité opératoire.

Donc interroger les familiarités, le terme deviendra les similarités, les similitudes pour se concentrer sur les ressemblances dans l’apparition des savoirs.
Ce qui intrigue dans le texte de Borges, c’est comment faire place à part de la singularité – non pas que dans la marge se détermine la normalité mais l’écart dans entre la marge et le plan de composition de la feuille inscrite indique une nature de regard particulier. D’où l’importance de la textualité dans cette Préface mais d’une littérature de graphisme.
Faisons l’hypothèse suivante la Préface de M-C est également l’établissement de lignes graphiques qui se fondent sur le présupposé problématique :
« Qu’est-il donc impossible de penser, et de quelle impossibilité s’agit-il ? »
C’est une investigation assez étrange quand la modernité de la pensée philosophique se place sous la tutelle kantienne du « que puis-je savoir ? » (ce qui implique une modification des deux autres questions kantiennes : « que puis-dois-je faire ? » et « que puis-je espérer ? » Questions jamais établies dans la pensée de M.F. sinon par la bande).
Le savoir établit un ordre de composition de son espace : un ordre graphique (lire J. Goody : la déraison graphique ed. Minuit).
La fiction est une représentation graphique sur le plan de la taxinomie : organisation de l’imaginaire dans une production de réalités – le rapport de la fiction avec le concept peut se décliner de manière plus directe et plus brusque : philosophie et roman d’investigation psychologique et philosophique, le rapport aux temps devenus temporalités voire durées (la science-fiction), la capacité à représenter des concepts (Platon et l’allégorie, Tinguely …).

- Deuxième fil conducteur :
L’hétérogène est naturel à la constitution de la fiction, mais les savoirs ne lui font pas de places :
« Ce texte de Borges m’a fait rire longtemps, non sans un malaise certain et difficile à vaincre. Peut-être parce que dans son sillage naissait le soupçon qu’il y a pire désordre que celui de l’incongru et du rapprochement de ce qui ne convient pas ; ce serait le désordre qui fait scintiller les fragments d’un grand nombre d’ordres possibles dans la dimension, sans loi ni géométrie, de l’hétéroclite ; et il faut entendre ce mot au plus près de son étymologie : les choses y sont « couchées », « posées », « disposées » dans des sites à ce point différents qu’il est impossible de trouver pour eux un espace d’accueil, de définir au-dessous des uns et des autres un lieu commun. » p.9
Comment faire tenir les dispositifs de représentation sinon par la marge ? le cadrage de la représentation elle-même dans une série de dispositifs historiquement agencées pour tenter de n’en former qu’un ?
Le mot qui résume ce dispositif des dispositifs, c’est ordre
« L’ordre, c’est à la fois ce qui se donne dans les choses comme leur loi intérieure, le réseau secret selon lequel elles se regardent en quelque sorte les unes les autres et ce qui n’existe qu’à travers la grille d’un regard, d’une attention, d’un langage ; et c’est seulement dans les cases blanches de ce quadrillage qu’il se manifeste en profondeur comme déjà là, attendant en silence le moment d’être énoncé. « p.11
C’est ce que nous allons voir dans un instant plus en détail avec Les suivantes.

- troisième fil conducteur :
La condition de possibilité des connaissances et des théories – un retour à un kantisme ? non un questionnement sur celui qui fonde le connaître comme savoir – le sujet anthropologique des sciences de l’homme dans une perspective particulière : l’élaboration du concept de ressemblance dans les organisations d’épistémè :
« l’homme n’est qu’une invention récente, une figure qui n’a pas deux siècle, un simple pli dans notre savoir, et qu’il disparaîtra dès que celui-ci aura trouvé une forme nouvelle »
Ce passage qui a soulevé des critiques : anti-humanisme, voire fascisme … il faut toujours lire les livres dans l’intégralité de la démarche, pas seulement en coup d’œil – ce qui ne veut pas dire qu’il faut lire ligne à ligne mais de concepts problématiques en concepts problématiques.

dimanche, décembre 04, 2005

7 schéma perspectif des ménines


l'à-côté de la représentation : le point de fuite des lignes va vers le sol ou les marches où se tient le maréchal.
A quoi renvoie ce renvoi vers l'absence de sujet ?
La ligne traçable délimite le tableau représenté de dos (le cadre, le châssis) vers 1/3 : comme pour le tableau lui-même - une assise du sujet dans la représentation mais aussi la partie médiane de la toile en train de se peindre est visible dans le miroir et l'inférieur ce qui fonde l'assise corporelle de la majesté est irreprésentable.
Le dernier tiers est celui de l'exposition des toiles invisibles sur le mur du fond

6 les ménines : les vingt premières pages de M-C



La toile date de 1656
Velasquez travaille au portrait de la famille royale : de gauche à droite : dona Augustina de Sarmiento, l'infante Marguerite, dona Isabel de Velasco, la naine Mari-Barbola et le nain Nicolasito Pertusato.
Au second plan : dona Marccela de Ulloa et don Diego Ruiz de Azscona
Dans l'embrasure de la porte : le maréchal de palais don José Nieto Velasquez
Dans le miroir : le couple royal Marianne d'Autriche et Philippe IV