Ce que construit Aristote, c’est une étude du dispositif narratif – une espèce particulière le récit comme narration d’une histoire, ce qui signifie que tout récit est récit d’ordre historique ou événementiel mais qu’il existe des narrations sans histoire.
Etude qui est devenu un discours normatif sur le poétique considéré comme mise en place d’un récit quelconque : le dispositif est la forme même de la constitution d’une formation narrative spécifique – le récit tragique (cf. au XVIIe, les préfaces de Racine, Corneille, Molière à leurs pièces).
Imiter – Représenter :
C’est donc au sein de la mimésis ou représentativité( compris comme théorie de la représentation) que le récit comme dispositif se constitue.
On en a vu quelques éléments, il y en a d’autres qui doivent trouver leur place.
L’intérêt contemporain de tout cela, c’est qu’en postulant que le récit est dispositif, Aristote postule aussi qu’il y a de manière inhérente et cohérente à la mise en place du récit l’installation d’une disposition particulière : théorie de la réception sous forme de katharsis.
Qu’est-ce donc que représenter, alors ?
La représentation renvoie à une activité naturelle : l’activité mimétique.
Pas une activité de pure reproduction mais un enjeu concernant la représentation.
Qu’est ce que la mimésis ? La mimésis renvoie à une pratique archaïque du récit : le récit corporel comme mimos ou mime ; c’est une attitude dramatique, à savoir que le corps génère un type d’action qui est en analogie avec une action réelle – la forme première de la mimésis est donc en fait bien une imitation mais elle ne se réduit pas à la mimétique comme mimétisme. Imiter, c’est produire une transposition dans un autre registre de l’attitude active du corps, c’est faire ressortir l’énergie du corps dans sa pure capacité à dire l’action.
Imiter est déjà une action, c’est donc un redoublement de l’agir dans l’action.
La mimésis est donc en tant que telle une modalité de l’agir ou du faire qui consiste à saisir les caractéristiques essentielles de l’agir ou du faire selon un autre plan. L’activité mimétique est donc toujours passage d’un registre d’expression à un autre : le registre d’expression propre est celui où l’agir-faire ne vaut plus par la finalité de l’agir-faire mais bien dans le registre des modalités où s’effectue le faire ou l’agir.
On comprend dès lors que le mime, la danse, la pantomime puissent en être l’expression la plus primitive.
La mimésis désigne donc une production du semblable par une dissemblance ou l’effectuation du même dans une altérité qualitative ou modale : à un moindre degré, si on observe l’imitateu, on perçoit ce travail de représentation par la caractéristique – les éléments qui font d’un individu un individu singulier (ou sur un autre plan : la caricature qui mime le réel en le déformant par passage à un plan distordu de la réalité).
La mimésis est donc toujours la formation d’un écart dans la représentation du réel ou de la réalité – pas une représentation directe (cf. Platon Livre III de la République - la fine distinction établit entre mimésis et diégésis : la mimésis est toujours dans un rapport contemporain qui implique une présence, la diégésis est toujours dans un contemporain de ce qui est rapporté sans pour autant que l’action soit dévolue à un temps que l’on rend présent : la diégésis suppose la narrativité de l’auteur ou du personnage auteur.).
C’est une manière d’aborder la représentation importante car du coup se pose le caractère temporel du récit (fait déjà rencontré) sur le plan de l’existence même du récit.
Si le récit raconte, il raconte l’agir dans sa représentation effectuée pas comme l’histoire qui rapporte toujours le déjà effectué et dans la distanciation de l’événement (mais déjà l’on entrevoit que ce rapport est fonction d’une considération portée sur la nature du récit – l’Histoire comme discipline elle-même peut appartenir à la mimétique représentative : s’estompe la vieille antinomie fiction réalité - ce que l'actualité par le biais de l'idéologie culturaliste introduit. (Cf. Paul Veyne Comment on écrit l'histoire ?).
De quelle nature est le récit comme déroulement d’une histoire comme mimésis ?
Dans le récit ce qui importe, c’est le caractère des événements (à la fois leur nature mais également ce qu’ils disent de celui qui supportent l’action) pas tant le personnage. Le français nourrit une ambiguïté entre caractère et personnage.
Donc le caractère comme ethos et l’action comme praxis.
« la tragédie est représentation non d’hommes mais d’actions ».
L’auteur à partir d’actions révélatrices du caractère construit selon une rationalité qui est de l’ordre du général et de la nécessité ou du probable une histoire.
Il n’imite au sens courant que pour représenter et dans le cadre du système d’agencement des faits.
Aristote postule une relation entre réel, réalité, fait, factuel et fictionnel et fiction : le récit bien fait est l’art du passage de l’un à l’autre selon les degrés nécessaires à la cohérence (vraisemblance, probabilité, nécessité) interne au système de faits qu’est l’histoire.
Le mimétique comme représentation prime sur l’ordre de l’expression : le vraisemblable et l’acceptable sont plus forts que l’écriture selon Aristote (discutable aujourd’hui où le récit est troublé).
L’activité de celui qui produit les récits est poétique en :
-1- la construction d’un histoire comme arrangement systématique de faits enchaînés selon le nécessaire et le vraisemblable.
-2- le travail de l’expression (lexis en grec : registre de vocabulaire et d’écriture en français – lexique) qui est la mise en forme particulière du récit dans la littérature : le mot.
Le travail mimétique est un travail de transposition d’un degré de réalité à un autre par le biais d’une figure – la métaphore qui est la perception du semblable dans le dissemblable (Cf. Paul Ricoeur : la métaphore vive paris Le Seuil 1975).
C’est une manière de faire de l’image un fondement caractéristique de l’homme : image ne devant pas se comprendre comme figuration linéaire ou colorée mais bien comme représentation mentale représentative d’un réel.
La représentation pour Aristote est naturelle à l’homme :
« Si l’on aime à voir des images, c’est qu’en les regardant on apprend à connaître et on conclut ce qu’est chaque chose comme lorsqu’on dit : celui-là, c’est lui » 4 -48b17.
L’artiste dégage une forme qui exprime la cause formelle en l’extrayant de la relation forme matière ; d’où une connaissance réelle de ce qu’est l’être de la chose à la fois dans son essence et dans sa relation à la matérialité (plaisir cognitif et esthétique) qui est un plaisir de la reconnaissance. L’extraction de la matière de ce qui fait la forme en tant que telle, de la forme propre sollicite la capacité à raisonner dans la forme première de la connaissance pour Aristote – l’étonnement.
En même temps ce plaisir du savoir est un plaisir de l’individualité dans sa singularité : c’est une chose (une œuvre) qui me fait entrer dans le plaisir des êtres et des choses mais c’est une chose individuelle qui établit un rapport spécifique (d’où une singularité) à la matière sensible. Le talent ce serait donc agencer l’individuel dans la production d’une singularité matière-forme. L’art à la différence de la technique manifeste cette singularité des choses et des êtres dans leur pure présence (pas un abandon d’une similarité de production mais la production atteint une finalité inhérente ou –et interne aux choses et être matérielles. Ne pas oublier que pur Aristote le vrai problème philosophique, esthétique et métaphysique est dans la matière puisqu’elle a pour trait caractéristique parmi d’autres de refuser par résistance à la forme).
Une esthétique du déictique – un singulier universel ?
Le récit est la manifestation de l’histoire d’un individuel qui devient singulier par un procès : le dispositif es bien présent dans la forme narrative sous cet aspect là.
Les modes de représentation de l’individuel et du singulier :
Postulat : chaque genre a sa puissance ou finalité propre dans le champ mimétique qui lui appartient. La poétique établit le mode de représentation de ce que nous désignons aujourd’hui par le terme de littérature mais qui correspond au tragique.
Soit donc deux manières dans le récit de représenter :
-1- objets représentés parlent en son propre nom ou par eux-mêmes
-2- les objets représentés parlent par le biais d’un narrateur
Aristote reprend Platon (République Livre 111 : récit simple ou récit diégétique ou récit mimétique complexe : comme si).
C’est dans la modalité -2- qu’Aristote pense le récit comme historie parce que celui supporte le récit est auteur et narrateur de la représentation d’une histoire.
Ces deux modalités sont une forme réduite de toute une théorie de la narration possible et qui interroge : qui produit le récit ? nous aurons à y revenir
- mais déjà voir Adorno Notes sur la littérature Champs Flammarion Paris 1984 : « la situation du narrateur dans le roman contemporain : selon lui on ne peut plus narrer sous la forme de la narration du roman. Alors comment fait l’écrivain puisque le roman par des pratiques contemporaines est privé du récit : il pense au reportage et à certains médias – le cinéma. Plus apte ( ?) à produire du récit comme agencement de fait. Le roman vit-il une libération du même ordre que la peinture avec l’apparition de la photographie : se libérer du carcan du récit pour n’être plus qu’une écriture ?
- ou Barthes dans le Degré zéro de l’écriture : roman et histoire. Il y a eu un tournant après 1850 (discutable) dont Michelet et Balzac sont les révélateurs dans le degré de réalité du fait « historique » du récit. Le roman comme l’histoire ont dû construire leur univers propre par rapport à d’autres formes narratives qui sont devenues prédominantes. Le récit comme forme co-extensive au Roman et à l’Histoire. La narration au passé simple comme vraisemblance historique du possible et non plus du virtuel et de l’actuel ; un ordre de rapport au passé qui change : la mémoire et le souvenir ; l’ordre du système de narration : qui raconte le je-il ou de l’impersonnel.
Le récit représente un agencement systématique de fait – une histoire donc.
Une histoire c’est donc un déroulement dans le temps d’actions font singularité – événements : ce qu’il importe de raconter et une composition : un ordre de raison entre les événements (même si cette raison est déroutante parfois).
En tant que tel, le personnage importe peu – il est support de l’événement action représentatif.
Aristote fait prédominer un caractère éthique et esthétique aux caractères du personnages. De toute façon, nous ne connaissons les hommes que par leur caractère, c’est-à-dire la forme particulière qu’ils donnent à leurs actions.
Ce sont toujours les actions de certains des hommes qui sont racontées et qui manifestent dans le récit les choix délibérés ou conduits (la capacité donc à raisonner et penser : la dianoia) et la nature du caractère (la qualité des actions). La katharis sera alors une forme de neutralisation des affects (pas une purgation) troublants la lecture, la vision de l’agencement des faits : le beau le laid importent peu alors…
En somme si l’histoire est plus importante que le personnage : est rendu possible l’unité de l’hétérogène du monde et la possibilité d’agir sur celui-ce (même dans le cadre du destin) et une affirmation de fait d’une certaine forme de liberté. D’où l’importance de l’imprévu pur faire tenir haleine de l’histoire mais surtout comme manifestation de la réaction d’un caractère donné à une situation non prévisible.
(Penser c’est avoir la capacité à dire ce qu’appelle la situation et ce qui convient de faire)
dimanche, février 05, 2006
lundi, janvier 30, 2006
10 Dispositif - Excurus 2 : le récit
Le récit comme dispositif narratif :
Bibliographie sommaire :
Aristote Poétique et Rhétorique
Platon La république Livre 3 à 7 GF Paris
Genette Fiction et diction Points Seuil Paris 2004
Todorov La notion de littérature Points Seuil Paris 1987
Groupe mu : Rhétorique générale Points Seuil Paris 1982
La fiction textes choisis et présentés par Ch. Montalbetti GF Flammarion Paris 2001
Le récit se donne comme un dispositif particulier des systèmes de narration. La narration se définit par une suite de fait exposé. Elle peut prendre la forme du récit, de l’exposé, de la relation, et traverse les différents genres et pratiques de l’expression d’un événement.
La narration se donne comme une catégorie générale sur lequel le récit s’articule de manière spécifique.
Cette spécificité, Aristote en étudia le premier les modalités propres au sein d’un corpus de texte dont le plus important est la Poétique.
Aristote en tant que philosophie s’intéresse aux formes du récit comme poièsis : forme de production, fabrication, création particulière puisque la poièsis trouve sa fin en elle-même. Elle s’auto justifie et détermine comme pratique alors que les autres modes de fabrication, création, production doivent trouver leur fin dans une extériorité radicale : l’artisan fabrique le lit et la fin n’est pas la fabrication en elle-même du lit mais le lit comme objet.
Le récit poétique trouve donc sa fin dans son système de construction.
En cela pour Aristote il relève d’activité identique qu’il place sous le cadre de la mimésis ou imitation (cf. début de la poétique où l’acte du récit est rapporté aux activités mimétiques : la peinture par ex.).
La mimèsis est une théorie de la représentation particulière qui ne se réduit pas à la représentation comme copie.
Le récit ne peut pas être dit une imitation d’un agencement de fait réel – il est construction de cet agencement, voire il est production du fait lui-même.
C’est une ligne de partage oubliée de la conception aristotélicienne de la représentation.
Aristote ne cesse dans sa pratique de la philosophie de questionner les modes d’être ; il s’occupe d’une métaphysique qui est également une ontologie.
L’intérêt pour les art relève d’un questionnement sur les modes d’être particulier aux œuvres d’art.
La poétique définit le récit selon les modalités contemporaines à Aristote : le théâtre tragique et comique, l’épopée, le roman ne peut pas faire figure de genre, il n’existe tout simplement pas sauf à considérer (et parfois Aristote le fait en interrogeant l’histoire) le récit historique comme une modalité en devenir vers la réalité et la vérité.
Il y a là les premiers termes d’une indistinction entre fiction et réalisation (comme mode de production d’un récit fictif ou factuel – cf. Genette fiction et diction récit fictionnel, récit factuel p.141).
Simplement Aristote définit le récit comme système d’agencement de faits, d’actions. Les modalités du texte s’arrête plus particulièrement à la tragédie mais il ne faut pas en tenir compte uniquement.
Dire que le récit se compose comme agencement, c’est dire qu’il est un principe d’organisation des faits-actions :
- une organisation temporelle : il y a un temps propre au récit – le temps de la composition par l’auteur,le temps de la narration spécifique et le temps de ce qui est raconté, le temps du lecteur. Donc divers ordres de temporalités qui suppose des conceptions du temps sous forme de durée propre : le temps de la narration et du narré se recouvrent dans le récit, les deux autres constituent des modalités de production et d’appropriation du récit.
Il y a des opérateurs propres à la production de formes de temporalités : études de premières phrases de romans et contes
- « il était une fois » imparfait historique, certes pas, plutôt un imparfait qui désigne une action passé(en ce sens historique) mais une action passée dont le régime temporel n’est pas très clair par rapport à l’histoire. Le « il était une fois » est un paradoxe temporel : un temps passé qui n’est pas défini mais dont l’une fois dit la simplicité du rapport au temps. En français ce devrait être un passé simple « il fut une fois » mais la formulation est une redondance. Le passé simple marque l’instant de l’action alors que le « il était une fois » marque une forme d’éternité, une reprise perpétuel à chaque commencement du récit.
Il était une fois est un marqueur temporel du récit mais aussi un marqueur pour l’auteur et le lecteur.
- « ça a débuté comme ça » Louis Ferdinand Céline : Voyage au bout de la nuit. Le passé composé est ici la figure d’une temporalité en cercle. Un éternel recommencement. Le début est absolu et boucle le récit dans une temporalité de répétition à chaque reprise de la lecture. Le début est commencement absolu, il n’y a rien avant pas même l’éternité du « il était une fois ». Le temps n’est pas bloqué, immobile ; il est conçu simplement dans l’évidence du récit qui vient supporter le silence du narrateur : « moi, j’avais jamais rien dit ». La première phrase produit le régime de temporalité du récit dans le Voyage comme suite d’événement sans raccord – le temps est disjoint, disjoncté. Le récit est celui d’une expérience biographique sans unité ou qui doit trouver sans unité dans la progression et l’enchaînement d’événements particuliers.
- « Dis moi, ô Muse, l’homme aux milles tours qui tant erra » Le régime de temporalité est celui du mythe – un temps qui n’est plus humain parce qu’il est celui de la Muse et également un temps de l’inaccessible. Un temps d’injonction ou de prière :lire l’odyssée comme une prière dans le temps propre qu’instaure la prière dans sa religiosité, son intimité, sa valeur de partage…Toutefois ce qui est raconté est de l’ordre du factuel dans la passé simple (aoriste en grec temps passé déterminé d’une action mais sans chronologie précise). Le passé est renvoyé à l’indétermination. Des fait sans histoire ou plus exactement sans consistance de réalité.
- « le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi et d’apprendre au monde qu’après tant de siècle César et Alexandre avaient un successeur ; » La temporalité se donne ouvertement comme celle de l’historique, d’une forme spécifique de fait avéré. Il y a une réalité derrière le récit et cette réalité se réfère au temps passé et daté. Inscrire le récit dans une chronologie factuelle, c’est le propre de la chronique, de la presse ou du livre d’historien. Le passé simple avec la datation précise le registre de temporalité. Le point de départ du récit s’inscrit dans le même registre de temporalité que celui du lecteur – c’est le même que celui de l’histoire.
- il y un ordre logique de cette temporalité posée : le temps est celui de l’avant et de l’après qui rejoint celui de notre conception de l’explication des événements et des phénomènes physiques. Le temps c’est l’avant-après mais c’est également une détermination d’ordre dans la succession des événements. L’avant-après recouvre le schéma cause-effet(s). Il y a donc une linéarité propre au récit (au moins dans la structure élémentaire que propose Aristote).
Le récit initie un commencement spécifique et s’articule logiquement selon les données de ce commencement.
La suite s’articule comme développement d’une logique argumentative des données premières jusqu’à résolution .
Derrière cette logique du temps se profile ce qu’Aristote qualifie de vraisemblance. Le récit pour paraître cohérent doit également se prévaloir d’une certaine vérité. Cette vérité ne peut être celle qui ressortit d’une expérience de la réalité ou du vécu, elle se construit analogiquement à elle mais selon ses propres règles.
C’est l’expérience du vraisemblable dans la fiction : cela peut paraître vrai, voire dire le vrai – donc être vrai d’une certaine manière mais il n’y a aucune raison sinon d’ordre extérieur au récit pour démontrer la non validité ou fausseté ( c’est l’illusion de Don Quichotte qui croit les récits de chevalerie plus vrai que le réel alors qu’ils ne sont que vraisemblables – et c’est le travail de l’auteur de déterminer cette vraisemblance, le lecteur doit l’accepter, d’une certaine manière la subir).
-le texte de Balzac extrait de la Fille aux yeux d’or : le temps chez Balzac sert par le biais de la description à déterminer une temporalité objective. Une temporalité d’objets, c’est une temporalité factuelle mais pas au sens historique du terme uniquement, ce qui intéresse Balzac, c’est de dire une vérité archéologique sur son époque. Le temps d’objet est celui-là même de la vérité scientifique une vérité qui fait une pause dans le temps – pas, donc, l’éternité du mythe épique de l’odyssée mais un temps de l’universalité délimitée par la description. (cf. Avant propos de la Comédie Humaine). La valeur de description sociologique de la page construit une présupposition : le roman est un roman du temps présent (pas comme celui de Stendhal) mais du temps présent comme objet d’analyse et d’étude. Le présent de narration renforce la valeur d’objectivité du récit et le texte se constitue comme un champ de vision macroscopique-microscopique.
- le texte de Queneau : les fleurs bleues. La date est en toute lettre, elle désamorce le caractère historique, le factuel est dans la littéralité du texte pas dans le réel. Le passé simple n’est donc pas événementiel, il est narratif – il construit au rythme de la lecture la temporalité propre du récit. Le temps est l’objet propre du récit : le temps de l’histoire et Queneau joue avec le temps sous forme narrative.
Bibliographie sommaire :
Aristote Poétique et Rhétorique
Platon La république Livre 3 à 7 GF Paris
Genette Fiction et diction Points Seuil Paris 2004
Todorov La notion de littérature Points Seuil Paris 1987
Groupe mu : Rhétorique générale Points Seuil Paris 1982
La fiction textes choisis et présentés par Ch. Montalbetti GF Flammarion Paris 2001
Le récit se donne comme un dispositif particulier des systèmes de narration. La narration se définit par une suite de fait exposé. Elle peut prendre la forme du récit, de l’exposé, de la relation, et traverse les différents genres et pratiques de l’expression d’un événement.
La narration se donne comme une catégorie générale sur lequel le récit s’articule de manière spécifique.
Cette spécificité, Aristote en étudia le premier les modalités propres au sein d’un corpus de texte dont le plus important est la Poétique.
Aristote en tant que philosophie s’intéresse aux formes du récit comme poièsis : forme de production, fabrication, création particulière puisque la poièsis trouve sa fin en elle-même. Elle s’auto justifie et détermine comme pratique alors que les autres modes de fabrication, création, production doivent trouver leur fin dans une extériorité radicale : l’artisan fabrique le lit et la fin n’est pas la fabrication en elle-même du lit mais le lit comme objet.
Le récit poétique trouve donc sa fin dans son système de construction.
En cela pour Aristote il relève d’activité identique qu’il place sous le cadre de la mimésis ou imitation (cf. début de la poétique où l’acte du récit est rapporté aux activités mimétiques : la peinture par ex.).
La mimèsis est une théorie de la représentation particulière qui ne se réduit pas à la représentation comme copie.
Le récit ne peut pas être dit une imitation d’un agencement de fait réel – il est construction de cet agencement, voire il est production du fait lui-même.
C’est une ligne de partage oubliée de la conception aristotélicienne de la représentation.
Aristote ne cesse dans sa pratique de la philosophie de questionner les modes d’être ; il s’occupe d’une métaphysique qui est également une ontologie.
L’intérêt pour les art relève d’un questionnement sur les modes d’être particulier aux œuvres d’art.
La poétique définit le récit selon les modalités contemporaines à Aristote : le théâtre tragique et comique, l’épopée, le roman ne peut pas faire figure de genre, il n’existe tout simplement pas sauf à considérer (et parfois Aristote le fait en interrogeant l’histoire) le récit historique comme une modalité en devenir vers la réalité et la vérité.
Il y a là les premiers termes d’une indistinction entre fiction et réalisation (comme mode de production d’un récit fictif ou factuel – cf. Genette fiction et diction récit fictionnel, récit factuel p.141).
Simplement Aristote définit le récit comme système d’agencement de faits, d’actions. Les modalités du texte s’arrête plus particulièrement à la tragédie mais il ne faut pas en tenir compte uniquement.
Dire que le récit se compose comme agencement, c’est dire qu’il est un principe d’organisation des faits-actions :
- une organisation temporelle : il y a un temps propre au récit – le temps de la composition par l’auteur,le temps de la narration spécifique et le temps de ce qui est raconté, le temps du lecteur. Donc divers ordres de temporalités qui suppose des conceptions du temps sous forme de durée propre : le temps de la narration et du narré se recouvrent dans le récit, les deux autres constituent des modalités de production et d’appropriation du récit.
Il y a des opérateurs propres à la production de formes de temporalités : études de premières phrases de romans et contes
- « il était une fois » imparfait historique, certes pas, plutôt un imparfait qui désigne une action passé(en ce sens historique) mais une action passée dont le régime temporel n’est pas très clair par rapport à l’histoire. Le « il était une fois » est un paradoxe temporel : un temps passé qui n’est pas défini mais dont l’une fois dit la simplicité du rapport au temps. En français ce devrait être un passé simple « il fut une fois » mais la formulation est une redondance. Le passé simple marque l’instant de l’action alors que le « il était une fois » marque une forme d’éternité, une reprise perpétuel à chaque commencement du récit.
Il était une fois est un marqueur temporel du récit mais aussi un marqueur pour l’auteur et le lecteur.
- « ça a débuté comme ça » Louis Ferdinand Céline : Voyage au bout de la nuit. Le passé composé est ici la figure d’une temporalité en cercle. Un éternel recommencement. Le début est absolu et boucle le récit dans une temporalité de répétition à chaque reprise de la lecture. Le début est commencement absolu, il n’y a rien avant pas même l’éternité du « il était une fois ». Le temps n’est pas bloqué, immobile ; il est conçu simplement dans l’évidence du récit qui vient supporter le silence du narrateur : « moi, j’avais jamais rien dit ». La première phrase produit le régime de temporalité du récit dans le Voyage comme suite d’événement sans raccord – le temps est disjoint, disjoncté. Le récit est celui d’une expérience biographique sans unité ou qui doit trouver sans unité dans la progression et l’enchaînement d’événements particuliers.
- « Dis moi, ô Muse, l’homme aux milles tours qui tant erra » Le régime de temporalité est celui du mythe – un temps qui n’est plus humain parce qu’il est celui de la Muse et également un temps de l’inaccessible. Un temps d’injonction ou de prière :lire l’odyssée comme une prière dans le temps propre qu’instaure la prière dans sa religiosité, son intimité, sa valeur de partage…Toutefois ce qui est raconté est de l’ordre du factuel dans la passé simple (aoriste en grec temps passé déterminé d’une action mais sans chronologie précise). Le passé est renvoyé à l’indétermination. Des fait sans histoire ou plus exactement sans consistance de réalité.
- « le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi et d’apprendre au monde qu’après tant de siècle César et Alexandre avaient un successeur ; » La temporalité se donne ouvertement comme celle de l’historique, d’une forme spécifique de fait avéré. Il y a une réalité derrière le récit et cette réalité se réfère au temps passé et daté. Inscrire le récit dans une chronologie factuelle, c’est le propre de la chronique, de la presse ou du livre d’historien. Le passé simple avec la datation précise le registre de temporalité. Le point de départ du récit s’inscrit dans le même registre de temporalité que celui du lecteur – c’est le même que celui de l’histoire.
- il y un ordre logique de cette temporalité posée : le temps est celui de l’avant et de l’après qui rejoint celui de notre conception de l’explication des événements et des phénomènes physiques. Le temps c’est l’avant-après mais c’est également une détermination d’ordre dans la succession des événements. L’avant-après recouvre le schéma cause-effet(s). Il y a donc une linéarité propre au récit (au moins dans la structure élémentaire que propose Aristote).
Le récit initie un commencement spécifique et s’articule logiquement selon les données de ce commencement.
La suite s’articule comme développement d’une logique argumentative des données premières jusqu’à résolution .
Derrière cette logique du temps se profile ce qu’Aristote qualifie de vraisemblance. Le récit pour paraître cohérent doit également se prévaloir d’une certaine vérité. Cette vérité ne peut être celle qui ressortit d’une expérience de la réalité ou du vécu, elle se construit analogiquement à elle mais selon ses propres règles.
C’est l’expérience du vraisemblable dans la fiction : cela peut paraître vrai, voire dire le vrai – donc être vrai d’une certaine manière mais il n’y a aucune raison sinon d’ordre extérieur au récit pour démontrer la non validité ou fausseté ( c’est l’illusion de Don Quichotte qui croit les récits de chevalerie plus vrai que le réel alors qu’ils ne sont que vraisemblables – et c’est le travail de l’auteur de déterminer cette vraisemblance, le lecteur doit l’accepter, d’une certaine manière la subir).
-le texte de Balzac extrait de la Fille aux yeux d’or : le temps chez Balzac sert par le biais de la description à déterminer une temporalité objective. Une temporalité d’objets, c’est une temporalité factuelle mais pas au sens historique du terme uniquement, ce qui intéresse Balzac, c’est de dire une vérité archéologique sur son époque. Le temps d’objet est celui-là même de la vérité scientifique une vérité qui fait une pause dans le temps – pas, donc, l’éternité du mythe épique de l’odyssée mais un temps de l’universalité délimitée par la description. (cf. Avant propos de la Comédie Humaine). La valeur de description sociologique de la page construit une présupposition : le roman est un roman du temps présent (pas comme celui de Stendhal) mais du temps présent comme objet d’analyse et d’étude. Le présent de narration renforce la valeur d’objectivité du récit et le texte se constitue comme un champ de vision macroscopique-microscopique.
- le texte de Queneau : les fleurs bleues. La date est en toute lettre, elle désamorce le caractère historique, le factuel est dans la littéralité du texte pas dans le réel. Le passé simple n’est donc pas événementiel, il est narratif – il construit au rythme de la lecture la temporalité propre du récit. Le temps est l’objet propre du récit : le temps de l’histoire et Queneau joue avec le temps sous forme narrative.
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