dimanche, novembre 27, 2005

4 Excursus -1-2- apport de la perspective comme dispositif

- Acquis :

Un dispositif est un schème de pensée et de production.
C’est un schème en tant qu’il organise structurellement la perception sensible (il a donc un rapport à l’esthétique) et cette organisation structurelle est la source d’une dynamique de la perception.
La manière d’appréhender le réel devient manière de penser une incidence du réel.
Une distinction est donc à penser entre le réel et la réalité : si le réel est l’état de fait du monde (des choses), la réalité est la manière dont nous construisons un rapport avec cet état.
La perspective s’institue comme une manière de faire qui est également une manière de penser une relation au monde.

En partant des exemples :
- De la visibilité : la vision ne se donne plus d’un bloc ou de blocs (Giotto) mais s’articule à un centre et crée ainsi la possibilité du point de vue (même s’il peut y avoir décentrement Masaccio)
- Être visible, c’est être lisible : il y a un déchiffrement de la représentation à effectuer. À un premier stade, déchiffrement de la perception chez le producteur, à un second stade déchiffrement de la représentation pour reconstruire la perception (c’est le positionnement inverse de la représentation antérieure, où être lisible, c’est donner lieu à une possibilité de visibilité)
- Du coup, la visibilité-lisibilité est partageable : il n’y a pas ou presque pas de point de vue privilégié. L’expérience de Brunelleschi suppose que je peux me mettre à la place de (enjeu important au moment de la Renaissance : décentrement politique et religieux).
- Il y a un en commun de la représentation qui se nomme perspective légitime : un espace géométrique structuré qui ordonne le monde.
- La perspective permet d’agencer une perception qui est une représentation (c’est contradictoire dans les termes puisque la perception se donne dans l’immédiat du sensible comme sensation et la représentation comme construction de la sensation en sentiment et en sensible. Distinctions importantes à poser) en avance du discours qui le formalisera – la perspective existe avant le texte et les énoncés scientifiques qui la détermineront (historiquement il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour que l’expression mathématique de la perspective soit presque achevée – et cela si on ne tient pas compte de l’irréductible que représente l’optique qui ne sera véritablement pensé qu’au cours du XIXe siècle, moment où la perspective est contestée avec la réflexion sur la couleur et la lumière).

- Problème :
Tout d’abord ne pas croire que la perspective s’impose par évidence. Une chance historique au sens de hasard de rencontre de causes.
Déjà parlé du contexte historique rapidement.
Comment s’impose ce dispositif ?
La perspective légitime appuie sa légitimité (outre les faits historiques) sur une conception de l’image.
L’image ne se donne plus comme émanation du réel, elle se propose comme un schème (je reprends le mot déjà employé à dessein) – une grille de correspondance entre un système visuel et les éléments du réel.
La perspective consolide du coup une conception de l’image comme mimésis.
Il y a un rapport particulier à construire à chaque coup entre le réel et sa représentation et ce rapport est l’établissement d’une réalité.
La mimésis se définira du coup comme le degré acceptable de correspondance entre le réel et son image : la réalité.
Le travail de l’artiste (qui est un des enjeux de notre questionnement sur le dispositif) se définira du coup comme une modélisation du réel (ce sera le premier niveau de sens du mot réalité : la réalité n’est que le modèle explicatif d’un état du réel) :
À la fin du moyen âge, Dante écrit (De monarchia II,2) : « voici donc ce qu’il faut savoir : de même que l’art se rencontre à trois niveaux, c’est-à-dire dans l’esprit de l’artiste, dans l’outil et dans la matière informée par l’art, de même nous pouvons contempler la nature à trois degrés différents » (à savoir en Dieu comme son créateur, dans le ciel comme en son instrument ainsi que dans la matière).
L’art est analogique, il fonctionne dans un certain rapport comme la création avec Dieu. L’image est toujours un prétexte à retrouver le texte lisible du monde – d’où l’acceptation d’une représentation en écart avec le réel puisque le réel ne se donne que par un travail d’hermétique (interprétation) d’un sens symbolique ou allégorique – rhétorique des formes visuelles.

La Renaissance part d’un postulat qui se dégage lentement dans l’analyse du réel : le modèle se donne déjà à voir. Pas une évidence du visible ou du visuel.
Ce postulat est celui de la ressemblance comme vraisemblance : ce qui d’une certaine manière arrive à être même, arrive également à être dans un rapport à la vérité, voire un rapport de vérité.
Donc du coup, il faut se placer devant les choses et arriver à rendre cette situation de placement :
« Si tu veux faire une bonne ébauche de montagnes, qui ressemblent à la nature, prends de grosses pierres rugueuses et brutes, et, en leur ménageant ombre et lumière, tu en auras aussitôt le spectacle » (Cennini Traité de peinture)

« Le travail du peintre est d’inscrire et de peindre sur une surface au moyen de lignes et de couleurs tous les corps donnés de telle manière qu’à une distance déterminée, et pour une position déterminée du rayon central, tout ce que tu vois peint présente le même relief et le même aspect que les corps donnés …Celui qui étudie la peinture tirera donc toutes ces observations de la nature même, et il méditera en lui-même assidûment la façon dont ces choses se produisent, ses yeux et son esprit persévéreront continuellement dans cette recherche… Enfin que tu étudies la penture ou la sculpture, aie toujours présent à l’esprit quelque modèle élégant et singulier que tu regarderas et imiteras. » Alberti De pictura

L’écart est manifeste : la renaissance introduit un refus de la transmission (peinture retransmise et répétitive) par la reprise perpétuelle du modèle (ressemblance avec la nature non plus divine et immuable – paradigme aristotélicien, mais changeante et variée – paradigme néoplatonicien).
Car il s’agit bien de déterminer l’essence des choses par leur aspect au sens étymologique : ce qui présente au regard.
L’aspect, c’est la vision qui se détermine par les lignes extérieures des choses, qui fait spectacle et se montre digne d’être vu et donc représenté.

La mimésis, c’est donc la production d’une ressemblance par rapport à un modèle (la nature) – un dispositif technique donc qui peut aller de la production d’une reproduction (copie, on s’y laisse prendre) à la production d’une similarité.
Un enjeu : rivaliser avec la nature, d’où le caractère d’imagerie que peut prendre la production d’image. L’artiste est aussi un ingénieur mathématicien et physicien.
La technique se définissant aussi plus largement par faire ce que la nature ne peut produire.
Alberti s’empresse de rajouter que l’artiste doit cependant porter une attention particulière à la beauté : en fait ce qui singularise la chose produite et lui donne un intérêt pour le regard de l’artiste et du spectateur dans une composition ordonnée et historique.

Le dispositif de la perspective légitime piège à la fois le regard et le réel.
Il serait même possible de dire que la perspective ne piège que le réel sous le coup d’un regard : la réalité.

La perspective, ce fut sous entendu jusqu’à présent, est un dispositif de distinction par délimitation : un procédé graphique qui consiste à faire que dans la surface s’élaborent des configurations selon une unité des variables qui se distinguent localement et pas par nature.
Le caractère géométrique n’est certes pas une mathématisation consciente puisque les outils mathématiques ne sont pas encore présents.
La perspective légitime travaille la linéarité des choses : c’est le trait – donc le dessin- ou plus exactement la délinéation (à l’origine liée à la matière colorée comme limite entre deux zones colorées) devient la bordure de la surface, la limite entre le plein et le vide – représentation matérielle séparée.
Le dessin configure une forme sensible du concept qui s’abstrait au point de disparaître à la sensibilité : lignes de forces non perceptibles sinon par déduction.
Le dispositif est dans la construction d’une représentation par armature invisible du visible.

Bilan :

Tout cela ne détaille pas la perspective dans sa richesse et sa complexité.
Il s’agissait de considérer le dispositif dans son apparition pour déterminer quelques caractéristiques.

Même dans un système aussi « naturaliste » que celui de la perspective légitime, il y a la construction d’un artifice.
L’image est une imagerie – c’est-à-dire qu’elle est une élaboration particulière. Il n’y a pas d’images qui s’imposent sans un dispositif qui ne soit également une procédure.
On peut se contenter de regarder une image comme on regarde un bon point mais même un bon point est une image qui s’intègre dans une procédure particulière.

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