dimanche, février 05, 2006

11 Le mimétique selon Aristote : représenter et raconter

Ce que construit Aristote, c’est une étude du dispositif narratif – une espèce particulière le récit comme narration d’une histoire, ce qui signifie que tout récit est récit d’ordre historique ou événementiel mais qu’il existe des narrations sans histoire.
Etude qui est devenu un discours normatif sur le poétique considéré comme mise en place d’un récit quelconque : le dispositif est la forme même de la constitution d’une formation narrative spécifique – le récit tragique (cf. au XVIIe, les préfaces de Racine, Corneille, Molière à leurs pièces).

Imiter – Représenter :
C’est donc au sein de la mimésis ou représentativité( compris comme théorie de la représentation) que le récit comme dispositif se constitue.
On en a vu quelques éléments, il y en a d’autres qui doivent trouver leur place.
L’intérêt contemporain de tout cela, c’est qu’en postulant que le récit est dispositif, Aristote postule aussi qu’il y a de manière inhérente et cohérente à la mise en place du récit l’installation d’une disposition particulière : théorie de la réception sous forme de katharsis.
Qu’est-ce donc que représenter, alors ?
La représentation renvoie à une activité naturelle : l’activité mimétique.
Pas une activité de pure reproduction mais un enjeu concernant la représentation.
Qu’est ce que la mimésis ? La mimésis renvoie à une pratique archaïque du récit : le récit corporel comme mimos ou mime ; c’est une attitude dramatique, à savoir que le corps génère un type d’action qui est en analogie avec une action réelle – la forme première de la mimésis est donc en fait bien une imitation mais elle ne se réduit pas à la mimétique comme mimétisme. Imiter, c’est produire une transposition dans un autre registre de l’attitude active du corps, c’est faire ressortir l’énergie du corps dans sa pure capacité à dire l’action.
Imiter est déjà une action, c’est donc un redoublement de l’agir dans l’action.
La mimésis est donc en tant que telle une modalité de l’agir ou du faire qui consiste à saisir les caractéristiques essentielles de l’agir ou du faire selon un autre plan. L’activité mimétique est donc toujours passage d’un registre d’expression à un autre : le registre d’expression propre est celui où l’agir-faire ne vaut plus par la finalité de l’agir-faire mais bien dans le registre des modalités où s’effectue le faire ou l’agir.
On comprend dès lors que le mime, la danse, la pantomime puissent en être l’expression la plus primitive.
La mimésis désigne donc une production du semblable par une dissemblance ou l’effectuation du même dans une altérité qualitative ou modale : à un moindre degré, si on observe l’imitateu, on perçoit ce travail de représentation par la caractéristique – les éléments qui font d’un individu un individu singulier (ou sur un autre plan : la caricature qui mime le réel en le déformant par passage à un plan distordu de la réalité).

La mimésis est donc toujours la formation d’un écart dans la représentation du réel ou de la réalité – pas une représentation directe (cf. Platon Livre III de la République - la fine distinction établit entre mimésis et diégésis : la mimésis est toujours dans un rapport contemporain qui implique une présence, la diégésis est toujours dans un contemporain de ce qui est rapporté sans pour autant que l’action soit dévolue à un temps que l’on rend présent : la diégésis suppose la narrativité de l’auteur ou du personnage auteur.).

C’est une manière d’aborder la représentation importante car du coup se pose le caractère temporel du récit (fait déjà rencontré) sur le plan de l’existence même du récit.
Si le récit raconte, il raconte l’agir dans sa représentation effectuée pas comme l’histoire qui rapporte toujours le déjà effectué et dans la distanciation de l’événement (mais déjà l’on entrevoit que ce rapport est fonction d’une considération portée sur la nature du récit – l’Histoire comme discipline elle-même peut appartenir à la mimétique représentative : s’estompe la vieille antinomie fiction réalité - ce que l'actualité par le biais de l'idéologie culturaliste introduit. (Cf. Paul Veyne Comment on écrit l'histoire ?).

De quelle nature est le récit comme déroulement d’une histoire comme mimésis ?
Dans le récit ce qui importe, c’est le caractère des événements (à la fois leur nature mais également ce qu’ils disent de celui qui supportent l’action) pas tant le personnage. Le français nourrit une ambiguïté entre caractère et personnage.
Donc le caractère comme ethos et l’action comme praxis.
« la tragédie est représentation non d’hommes mais d’actions ».
L’auteur à partir d’actions révélatrices du caractère construit selon une rationalité qui est de l’ordre du général et de la nécessité ou du probable une histoire.
Il n’imite au sens courant que pour représenter et dans le cadre du système d’agencement des faits.

Aristote postule une relation entre réel, réalité, fait, factuel et fictionnel et fiction : le récit bien fait est l’art du passage de l’un à l’autre selon les degrés nécessaires à la cohérence (vraisemblance, probabilité, nécessité) interne au système de faits qu’est l’histoire.

Le mimétique comme représentation prime sur l’ordre de l’expression : le vraisemblable et l’acceptable sont plus forts que l’écriture selon Aristote (discutable aujourd’hui où le récit est troublé).

L’activité de celui qui produit les récits est poétique en :
-1- la construction d’un histoire comme arrangement systématique de faits enchaînés selon le nécessaire et le vraisemblable.
-2- le travail de l’expression (lexis en grec : registre de vocabulaire et d’écriture en français – lexique) qui est la mise en forme particulière du récit dans la littérature : le mot.

Le travail mimétique est un travail de transposition d’un degré de réalité à un autre par le biais d’une figure – la métaphore qui est la perception du semblable dans le dissemblable (Cf. Paul Ricoeur : la métaphore vive paris Le Seuil 1975).
C’est une manière de faire de l’image un fondement caractéristique de l’homme : image ne devant pas se comprendre comme figuration linéaire ou colorée mais bien comme représentation mentale représentative d’un réel.
La représentation pour Aristote est naturelle à l’homme :
« Si l’on aime à voir des images, c’est qu’en les regardant on apprend à connaître et on conclut ce qu’est chaque chose comme lorsqu’on dit : celui-là, c’est lui » 4 -48b17.
L’artiste dégage une forme qui exprime la cause formelle en l’extrayant de la relation forme matière ; d’où une connaissance réelle de ce qu’est l’être de la chose à la fois dans son essence et dans sa relation à la matérialité (plaisir cognitif et esthétique) qui est un plaisir de la reconnaissance. L’extraction de la matière de ce qui fait la forme en tant que telle, de la forme propre sollicite la capacité à raisonner dans la forme première de la connaissance pour Aristote – l’étonnement.
En même temps ce plaisir du savoir est un plaisir de l’individualité dans sa singularité : c’est une chose (une œuvre) qui me fait entrer dans le plaisir des êtres et des choses mais c’est une chose individuelle qui établit un rapport spécifique (d’où une singularité) à la matière sensible. Le talent ce serait donc agencer l’individuel dans la production d’une singularité matière-forme. L’art à la différence de la technique manifeste cette singularité des choses et des êtres dans leur pure présence (pas un abandon d’une similarité de production mais la production atteint une finalité inhérente ou –et interne aux choses et être matérielles. Ne pas oublier que pur Aristote le vrai problème philosophique, esthétique et métaphysique est dans la matière puisqu’elle a pour trait caractéristique parmi d’autres de refuser par résistance à la forme).
Une esthétique du déictique – un singulier universel ?

Le récit est la manifestation de l’histoire d’un individuel qui devient singulier par un procès : le dispositif es bien présent dans la forme narrative sous cet aspect là.

Les modes de représentation de l’individuel et du singulier :

Postulat : chaque genre a sa puissance ou finalité propre dans le champ mimétique qui lui appartient. La poétique établit le mode de représentation de ce que nous désignons aujourd’hui par le terme de littérature mais qui correspond au tragique.
Soit donc deux manières dans le récit de représenter :
-1- objets représentés parlent en son propre nom ou par eux-mêmes
-2- les objets représentés parlent par le biais d’un narrateur
Aristote reprend Platon (République Livre 111 : récit simple ou récit diégétique ou récit mimétique complexe : comme si).
C’est dans la modalité -2- qu’Aristote pense le récit comme historie parce que celui supporte le récit est auteur et narrateur de la représentation d’une histoire.

Ces deux modalités sont une forme réduite de toute une théorie de la narration possible et qui interroge : qui produit le récit ? nous aurons à y revenir
- mais déjà voir Adorno Notes sur la littérature Champs Flammarion Paris 1984 : « la situation du narrateur dans le roman contemporain : selon lui on ne peut plus narrer sous la forme de la narration du roman. Alors comment fait l’écrivain puisque le roman par des pratiques contemporaines est privé du récit : il pense au reportage et à certains médias – le cinéma. Plus apte ( ?) à produire du récit comme agencement de fait. Le roman vit-il une libération du même ordre que la peinture avec l’apparition de la photographie : se libérer du carcan du récit pour n’être plus qu’une écriture ?
- ou Barthes dans le Degré zéro de l’écriture : roman et histoire. Il y a eu un tournant après 1850 (discutable) dont Michelet et Balzac sont les révélateurs dans le degré de réalité du fait « historique » du récit. Le roman comme l’histoire ont dû construire leur univers propre par rapport à d’autres formes narratives qui sont devenues prédominantes. Le récit comme forme co-extensive au Roman et à l’Histoire. La narration au passé simple comme vraisemblance historique du possible et non plus du virtuel et de l’actuel ; un ordre de rapport au passé qui change : la mémoire et le souvenir ; l’ordre du système de narration : qui raconte le je-il ou de l’impersonnel.

Le récit représente un agencement systématique de fait – une histoire donc.
Une histoire c’est donc un déroulement dans le temps d’actions font singularité – événements : ce qu’il importe de raconter et une composition : un ordre de raison entre les événements (même si cette raison est déroutante parfois).
En tant que tel, le personnage importe peu – il est support de l’événement action représentatif.
Aristote fait prédominer un caractère éthique et esthétique aux caractères du personnages. De toute façon, nous ne connaissons les hommes que par leur caractère, c’est-à-dire la forme particulière qu’ils donnent à leurs actions.
Ce sont toujours les actions de certains des hommes qui sont racontées et qui manifestent dans le récit les choix délibérés ou conduits (la capacité donc à raisonner et penser : la dianoia) et la nature du caractère (la qualité des actions). La katharis sera alors une forme de neutralisation des affects (pas une purgation) troublants la lecture, la vision de l’agencement des faits : le beau le laid importent peu alors…

En somme si l’histoire est plus importante que le personnage : est rendu possible l’unité de l’hétérogène du monde et la possibilité d’agir sur celui-ce (même dans le cadre du destin) et une affirmation de fait d’une certaine forme de liberté. D’où l’importance de l’imprévu pur faire tenir haleine de l’histoire mais surtout comme manifestation de la réaction d’un caractère donné à une situation non prévisible.
(Penser c’est avoir la capacité à dire ce qu’appelle la situation et ce qui convient de faire)